dimanche 19 juin 2016

28 Fév 2015, 17:26
Pourquoi les porcs? Pourquoi la femme (nue) interdite? Pourquoi les idôles cassés à Mossoul? Pourquoi les trois ensemble?

G. Flaubert, la Tentation de St Antoine, 1874: (extraits)

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La Logique.
Où est-ce écrit ? Mais toi, qui t' aime au monde ? Et qui aimes-tu ? Est-ce ce porc immonde avec lequel, pour passer le
temps, tu voudrais pouvoir t' entretenir ?

Antoine.
C' est vrai ! Personne ! Je n' ai personne sur qui, quand je suis las, faire reposer le poids de moi-même.

La Logique.
Il te faudrait quelqu' un... un ami... vous vous perfectionneriez l' un l' autre.

Antoine.
Un ami ? Non !

La Logique.
Si tu avais des tablettes au moins, c' est un passe-temps, tu mettrais dessus tes pensées, ce qui te vient à l' idée.

L' Envie.
Mais tu ne sais pas écrire, tu n' as pas voulu apprendre.

La Logique.
Il est trop tard maintenant.

Antoine.
Non, ce n' est pas de cela que j' ai besoin.

(…)

La Logique.
Jésus avait des femmes qui l' escortaient, il était Dieu cependant ! Pourquoi toi n' en prendrais-tu
pas une ?

La Luxure.
Pourquoi donc, comme un autre homme, ne prendrais-tu pas une compagne ?

L' Avarice.
Une matrone soigneuse, qui ménagerait ton bien, qui rendrait propre ta maison ; l' argenterie serait claire, les buffets luisants.

La Gourmandise.
Dans des plats creux qu' on tient par des anneaux elle t' apporterait des tranches de viandes fumant au milieu d' une sauce épaisse.

La Luxure.
Elle serait à toi, à toi seul ; toujours vêtue pour les autres, elle se déshabillerait pour toi seul, vous ne craindriez personne... et tous les jours comme ça... dans votre petit lit.

La Logique.
Ah ! Il ne fallait pas, dès ta jeunesse, vouloir à fleur de terre
(…)
L' Envie.
Est-ce pour toi vraiment que la vie est faite ? N' es-tu pas plus bas que les autres, plus condamné qu' eux tous ? Oh ! Tu es misérable ! Plus misérable que les dalles des grandes voies broyées sous la roue des chars, car la nuit les chars n' y passent plus ! Mais toi... oh ! Plains-toi, pleure, rage ; il vaudrait mieux que tu fusses cet animal stupide qui regarde couler tes larmes.

Antoine.(s'adressant au porc)
Tu ne pleures pas, toi, -il ne te faut rien ! Tout à l' heure cependant tu gémissais aussi... approche,
pauvre bête, que je te flatte un peu.

Il va pour caresser le cochon qui se jette sur lui et le mord jusqu' au sang. Antoine pousse un cri et secoue son doigt.

Le Cochon accroupi sur le train de derrière dans la pose d' un chien.
Je chercherai un arbre au tronc dur ; à force d' y mordre, mes dents pousseront. Je veux des défenses comme le sanglier et qui soient longues, plus pointues encore. Sur les feuilles sèches, dans la forêt, je courrai, je galoperai, j' avalerai en passant les couleuvres qui dorment, les petits oiseaux tombés de leur nid, les lièvres tapis ; je bouleverserai les sillons, je pilerai dans la boue les blés verts, j' écraserai les fruits, les olives, les pastèques et les grenades ; et je traverserai les flots, j' aborderai aux rivages et je casserai dans le sable la coquille des gros œufs dont le jaune coulera ; j' épouvanterai les villes, sur les portes je dévorerai les enfants, j' entrerai dans les maisons, je trotterai sur les tables et je renverserai les coupes. à force de gratter contre les murs je démolirai les temples, je fouillerai les tombeaux pour manger dans leurs cercueils les monarques en pourriture, et leur chair liquide me coulera sur les babines. Je grandirai, j' enflerai, e sentirai dans mon ventre grouiller les choses.

Antoine.
Pourquoi me mords-tu, méchant porc ?

Le Cochon.

Est-ce avec la queue des raves que tu me laisses et le peu d' ordures que tu fais que je peux vivre, moi, moi, le cochon ? Pourquoi autrefois m' as-tu enlevé au marché ? Je m' en souviens, nous étions sur la paille, tu m' as choisi au milieu de mes frères, acheté bien vite, puis suspendu par les oreilles à ta ceinture et apporté ici ; ma mère pleurait, je criais, et toi tu t' en allais sans y prendre garde, récitant ton chapelet.
Je veux des femelles, je veux dans une auge d' or de la farine blanche délayée avec la mousse du sang rose, je veux avoir de la pourpre pour litière, et sous mes pieds, comme des sarments secs, entendre craquer des os humains ; et pour commencer par toi, je m' en vais te faire au flanc un trou pour boire ta bile.

Il se rue sur le saint.

Antoine se jetant sur une pierre, qu' il lève de ses deux mains.
Ignoble monstre ! Moi qui t' aimais !

La Colère.
Tue-le ! Tue-le !

A ce moment le cochon, grandi tout à coup et, gros comme un hippopotame, ouvre jusqu' au ventre une gueule terrifiante, à triple rangée de dents ; il en sort du feu.


(à prologer? hors sujet?)

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