dimanche 19 juin 2016

05 Juil 2014

Une explication qui me semble sensée de l'antisémitisme de Céline se trouve chez Philippe Muray.

Son essai, "Céline" date de 1981. C'est un ouvrage de facture brillante, assez universitaire (Muray est allé à la suite de ce livre enseigner la littérature à Stanford, quelque temps). Je cite un commentaire dans "l'Express":

"L'angle est inattendu; le tableau, magistral. A la lumière de la passion de l'auteur du "Voyage au bout de la nuit" pour la figure de la danseuse, Muray dégage les traumatismes, les phobies et les utopies communes (scientisme, machinisme, hygiénisme, colonialisme, vitalisme) aux XIXe et XXe siècles. Muray soutient de front deux propositions. Primo, l'antisémitisme célinien est celui de son époque; il n'en est pas moins abject. Secundo, le style et l'?uvre qu'a laissés Céline sont d'un pur écrivain. En somme, le pire chez Céline touche à ce qu'il a en commun avec ses contemporains: l'opinion, les circonstances. Le meilleur est ce qui procède de lui en propre: son habileté à introduire le lecteur dans le drame, à l'en prendre à témoin. Au bout du compte, Céline est infréquentable. Sauf son style."

Derrière cette thèse de Muray, il y en a une autre, que cet auteur (catholique revendiqué) a développé dans d'autres livres: le bon docteur Destouches appartenait à une époque (scientiste, hygiéniste, etc…) qui avait cessé de "penser" le mal, notamment en termes religieux (donc plus de "péché originel").
Si le "mal" (tout ce qui ne va pas dans le monde, la méchanceté, la maladie, la mort…) n'a plus d'origine transcendante, c'est qu'on pense qu'il est possible de le "soigner", de purifier, de nettoyer - c'est juste une question de moyens, de "solutions" plus ou moins "finales"… C'est aussi qu'il a des "causes" identifiables. Et, de manière conventionnelle (l'époque, la tradition, la facilité), ce seront les juifs qui seront désigné comme la "maladie" qui nécessite "purification": l'antisémitisme célinien comme fantasme standard de gentil docteur, épris de santé, de sport, d'eugénisme et de grand air…

Cette idée de Muray, je la trouve très bonne, car elle permet de concilier les deux aspects du personnage: son empathie et son humanité incontestables pour la souffrance - et sa résolution à la guérir, coûte que coûte, en appelant à l'"élimination" des "agents pathogènes"! Toutes les lettres de Céline vont dans ce sens: l'antisémite était un diététicien, un eugéniste, un hygiéniste, pour qui le "mal" était une maladie chronique, mais éliminable avec un "bon régime"! On sait lequel.

Docteurs Petiot/Destouche/Mengele: même combat, des bienfaiteurs incompris de l'humanité (pure!). Toujours se méfier de ceux qui veulent faire le bonheur de l'humanité - si ça se trouve vous n'en faites pas partie, selon leur définition!

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