lundi 4 décembre 2017

Quelques livres, d'auteurs non-connus de moi jusqu'alors, ont retenu mon attention:


• Peter Heather: Rome & les barbares. Histoire nouvelle de la chute de l'empire (2005) (acheté)


• Paul Audi: "Et j'ai lu tous les livres" (Mallarmé, Célan) (2017)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paul_Audi


•  Mathieu Engerbeaud: Rome devant la défaite de 753 à 264 avant J.-C. (2016)

https://lesbelleslettresblog.com/2017/10/25/mathieu-engerbeaud-observe-rome-devant-la-defaite-de-753-a-264-avant-j-c/


• Helmuth Plessner: Les degrés de l'organique et l'homme (1928)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Helmuth_Plessner

http://www.cairn.info/revue-philosophie-2013-1-page-48.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropologie_philosophique

mercredi 24 mai 2017

Cela me coute un peu de le dire, mais l'émission de M. Assayas aligne les excellentes programmations: que des bons morceaux ici.

  • Mark Lanegan Band : « Nocturne » extrait de l’album « Gargoyle »
  • Cameron Avery : « Dance with Me » extrait de l’album « Ripe Dreams, Pipe Dreams »
  • Big Search : « Can’t Understand the News » extrait de l’album « Life Dollars »
  • EL VY : « Silent Ivy Hotel » extrait de l’album « Return to the Moon »
  • Gurf Morlix : « Deeper Down » extrait de l’album « The Soul & the Heel »
  • Mark Mulcahy : « 30 Days Away » extrait de l’album « The Possum in the Driveway »
  • Ronstadt Generations y los Tucsonenses : « Five » extrait de l’album « In the Land of the Setting Sun »
  • Paul Cauthen : « Let It Burn » extrait de l’album « My Gospel »
  • Jessi Colter : « Psalm 45 : My Song to a King » extrait de l’album « The Psalms »
  • Safia Nolin : « C’est zéro » extrait de l’album « Reprises, Vol. 1

mardi 16 mai 2017

Hier soir, à la télé, un joli film japonais, "Tel père tel fils", de Kore-eda, une sorte de "La vie est un long fleuve tranquille", mais traité en mélodrame subtil. Le drame est que deux gamins ont été échangés à la naissance, à la maternité; l'un est élevé par des richards (architecte), l'autre en milieu populaire (petit magasin d'électroménager, deux autres gosses dans le foyer). Quand les gamins ont 6 ans, on s'en rend compte: que faire? Les parents essayent de reprendre leurs fils respectifs, mais - je ne dévoile trop rien - ça ne colle pas, les gamins vont repartir avec leur famille "adoptive", qui est de fait devenue la leur.

C'est un drame - en cela que les sociétés humaines, pendant des millénaires ont été organisées par et autour deux tensions.
L'une, c'est assurer une certitude, ou du moins une bonne prévisibilité, sur la filiation biologique: car aucun type ("normal", eh) n'a JAMAIS l'envie d'élever, de nourrir, etc, un gamin qui ne serait pas "de lui" biologiquement - ceci pour des raisons qui sans doute sont profondément ancrées dans l'instinct de l'espèce: transmission et conservation de MES gènes, tout autre fournisseur de gamêtes étant un rival, voire un ennemi… Bien sur, beaucoup vont par ailleurs le faire, le vouloir et le souhaiter - mais, soyons francs, la norme, c'est "mon fils, ma bataille", pas "mon fils adoptif, mon amour" (sauf chez les grecs, romains et autres peintres de la renaissance ou vieux dandys du XVIè arrondissement).
L'autre tension: c'est donc de gérer tous les cas, qui, pour raison X ou Y, sortent de ou contreviennent à la transmission directe, celle éthologiquement préférée. Cas de fécondation de la femelle par un autre: que faire des mioches, qui va élever les petits batards (elle, moi, la tribu?), ne vaut-il pas mieux les manger direct? Cas de re-couplage: que faire des gamins d'un précédent lit? - comment être beau-père ou marâtre (dans ce cas, les femmes se trouvent concernées - car si le gamin adultérin qu'elles ont eu est bien d'"elles", quid des gamins qu'aurait en garde le type avec qui elles se maquent, etc…). Bref, comment être "parent" de qui n'est pas biologiquement "tien"? Diverses modalités d'inclusion/habilitation ont pu aider, selon les époques, à cette souvent problématique, de la "famille", au sens de la maisonnée.

Le fait est que les sociétés ont de tout temps aussi créé des fonctions "professionnelles" et symboliques pour que des gens "externes" au couple s'occupent des gamins (profs, curés, encadrants divers…). Serait à considérer les cas des orphelins (fascinant de penser à l'institution durable de l'orphelinat, qui confirme ce que je disais plus haut), celui des filles-mères (vilipendées pendant des millénaires!), et celui des adoptions "hors-tribu" (sans doute plus facile - du moins au début, et quand il n'y a pas pénurie - de chercher un gamin "exotique", justement parce qu'alors on n'est pas du tout confronté à la proximité phénotypique, donc à l'hypothèse de l'infraction)…

lundi 15 mai 2017

Presseux copié-coller d'un commentaire du Monde sur les évaluations sur Internet:

Le but de ces mails n’est que tertiairement de vous demander une évaluation.
Le but primaire est de vous pousser à revenir sur le site dans l’espoir que vous ferez de nouveaux achats.
Le but secondaire est de vous faire saisir votre adresse mail (ou d’obtenir votre « consentement » pour qu’elle soit transmise au système d’évaluation) pour ensuite la revendre aux spammeurs.
Par ailleurs les évaluations affichées en ligne sont souvent manipulées, soit par la société qui commercialise le webshop (elle propose un service de bonne évaluation à ses adhérents, les vendeurs) soit par les vendeurs eux-mêmes (qui font appel à des officines d’évaluation).
D’un autre côté, tous les vendeurs n’ont pas les moyens de se payer ces services. Par exemple, l’hôtel Machin de Pampérigouste ne traite certainement pas lui-même tout ce qui concerne le web : il est affilié à une organisation qui fausse les résultats pour lui – ou qui ne les fausse pas parce que c’est un trop petit affilié, on ne peut pas le savoir.
Bref le meilleur critère pour décider si vous voulez donner une évaluation ou pas, c’est de vous demander si ça vous fait plaisir de vous exprimer. PAS si votre notation est fondée, juste, justifiée, influente, ni utile. Rappelez vous que la société internet est 100% nombriliste : si vous y participez, il faut le faire d’après l’état de votre nombril à l’instant concerné, pas sur des critères éthiques.
Maintenant si ce dont vous avez envie, c’est de complimenter la vendeuse ou la réceptionniste de l’hôtel, passez-lui un coup de fil ou envoyez-lui un petit mail directement, c’est beaucoup plus aimable que de causer à l’internet.


Bref.
Quand c'est gratuit, c'est vous le produit.

mercredi 10 mai 2017

Emission "Very Good Trip", Michka Assayas, Mercredi 10 Mai 2017: du folk américain, "americana", souvent chanté par des anglais d'ailleurs. Très bien, à explorer.
  • Ray Davies, « Change for Change » extrait de l’album "Americana"
  • John Moreland, « Sallisaw Blue » extrait de l’album "Big Bad Luv"
  • Shovels and Rope, « Botched Execution » extrait de l’album "Little Seeds"
  • Robyn Hitchcock, « I Want to Tell You About What I Want » extrait de l’album "Robyn Hitchcock"
  • Chuck Prophet, « Jesus Was a Social Drinker » extrait de l’album "Bobby Fuller Died for Your Sins"
  • Graham Parker with the Punch Brothers, « What Do You Like? » extrait de l’album Artistes divers "This Is 40 Soundtrack"
  • The Devil Makes Three, « Drunken Hearted Man" extrait de l’album "Redemption and Ruin"
  • Jade Jackson, « Good Time Gone » single
  • Martha Tilston, « Nomad Blood » single
  • Spain, « The Depression » extrait de l’album "Carolina"
  • John Mellencamp, « Easy Target » extrait de l’album "Sad Clowns and Hillbillies"



mardi 25 avril 2017

Trois articles compilés de la Vie des Idées de Brice Couturier:

La revanche du Peuple de quelque part sur les Gens de n'importe où

Un livre, récemment publié en Grande-Bretagne, par David Goodhart, créateur du magazine Prospect, explique pourquoi le Brexit l'a emporté et les travaillistes décrochent.
Le clivage droite/gauche, dans beaucoup de nos démocraties est en train de céder la place à d’autres différenciations. Europhiles versus europhobes, ouverture/fermeture, libéralisme/autoritarisme, … L’essayiste britannique David Goodhart suggère un nouveau partage politique. A quel camp appartenez-vous ? A celui des gens de n’importe où au peuple de quelque part ?
Les premiers, les Gens de n'importe où, sont bien dotés en capital culturel et en diplômes donnant accès aux emplois cotés sur le marché du travail. Disposant de réseaux relationnels acquis dans quelque grande école française, ou une prestigieuse université anglo-saxonne, ils disposent d’une « identité portative ». C’est dire qu’ils sont à leur aise partout dans le monde. Ils valorisent la réussite professionnelle et l’auto-réalisation. Ils sont favorables à la mondialisation et leur valeur préférée est l’ouverture. Optimistes, curieux d’autrui et tolérants par principe, ils sont spontanément multiculturalistes.
Le Peuple de quelque part est plus enraciné. Ses membres sont rarement passés par l’enseignement supérieur. Ils sont assignés à une identité prescrite. La mondialisation, pour eux, cela signifie que les usines s’en vont et que les immigrés arrivent. La dignité qui s’attachait à la condition ouvrière est perdue. L’économie du savoir et les emplois qualifiés, que promettait l’Agenda de Lisbonne, ce n’était pas pour eux. Ils se considèrent comme les laissés-pour-compte de l’intégration européenne. Il y a de fortes chances qu’ils habitent une petite ville proche du domicile de leurs parents. Car ils ont le sens de la communauté et de la famille. Ils sont culturellement conservateurs.
David Goodhart a déclenché bien des débats en Grande-Bretagne, avec la publication d’un essai intitulé The Road to Somewhere. The populist revolt and the future of politics. La route vers quelque part. (Révolte populiste et avenir des politiques populistes). Et il propose, si l’on veut comprendre quelque chose au redéploiement en cours de la vie politique dans nos vieilles démocraties, de remplacer l’axe gauche / droite, par le clivage Anywhere / Somewhere. Que j’ai traduit par « gens de n’importe où » et « peuple de quelque part ». Car pour lui, les oppositions basées sur des critères purement socio-économiques sont devenus insuffisants. Il faut leur ajouter des éléments culturels. Les « politiques de l’identité » qu’avait mises en avant le New Labour, à l’époque de Tony Blair – identité ethnique, identité de genre, identité religieuse – font désormais partie du paysage. Elles ont définitivement bousculé une société britannique autrefois structurée par les appartenances de classe.
David Goodhart a longtemps joué un rôle important dans le monde intellectuel britannique en tant que directeur de la revue Prospect, un mensuel de réflexion politique et culturel sans équivalent chez nous, qu’il a créé en 1995 et dont il en a tenu les rênes jusqu’en 2010. Prospect, que j’ai lu toute ma vie, est devenu, aussitôt après son départ de la direction, beaucoup moins intéressant.
Je crois qu’on peut dire que le magazine Prospect, tout en veillant à ne pas s’aligner sur quelque parti ou personnalité politique que ce soit, a tout de même accompagné la montée en puissance de Tony Blair, puis les gouvernements du New Labour, en alimentant leur réflexion. Goodhart avoue, dans son livre, avoir appartenu au parti travailliste à cette époque. Son départ de la direction du magazine a coïncidé avec la défaite du New Labour.
Dans son dernier livre, David Goodhart enquête sur la causes idéologique et sociologiques du Brexit et de l’élection de Donald Trump. A ses yeux, ces deux évènements sont liés et témoignent de phénomènes fort comparables. Car ces votes protestataires constituent la revanche du « Peuple de quelque part », furieux de n’avoir jamais eu réellement voix au chapitre.
Ce sont, en effet, les « Gens de n’importe où » qui dominent la vie politique, les médias et l’Université. Ayant progressivement conquis l’hégémonie culturelle, ils ont imposé une idéologie qui sert leurs intérêts. Ce que Goodhart, après d’autres, nomme le « double libéralisme ». Un libéralisme culturel, venu des années 60, qui a ébranlé toutes les structures d’autorité. Et un libéralisme économique, imposé à partir des années 80, avec la prééminence accordée aux marchés sur les régulations étatiques. Progressivement, tout ce qui contestait ce double libéralisme a été chassé de la scène publique.
Dans un premier temps, le centre-gauche politique ne s’est que trop bien adapté à cette double révolution. Ainsi Tony Blair présentait-il la mondialisation et l’immigration de masse comme des phénomènes quasi-naturels, face auxquels il n’y avait d’autre issue, pour les Britanniques, que de s’adapter. Mais aujourd’hui, les partis socio-démocrates sont dans la nasse. Car leurs électeurs appartenaient autrefois au Peuple de quelque part. Et celui-ci estime qu’il a perdu à ces changements, rapides et radicaux. 62 % des Britanniques approuvent ainsi l’opinion : « le pays a tellement changé dans les dernières années qu’il est devenu méconnaissable et cela provoque en moi un malaise. »
Pourtant, le « Peuple de quelque part » ne remet pas en cause la totalité des acquis de la double révolution libérale. Il voudrait seulement que les élites, qui la pilotent, en ralentissent le rythme. La rapidité avec laquelle les sociétés ont été bouleversées par une immigration sans précédent a créé, chez lui, une « anxiété culturelle ». Ses membres réclament un accord général sur des normes de comportement communes. David Goodhart qualifie leur idéologie de « populisme de la décence ». J’y reviendrai demain.

Le Brexit expliqué par la montée en puissance des Gens de Quelque Part

David Goodhart, fondateur de Prospect, vient de publier un essai fort éclairant. il y explique notamment ce qui a poussé une majorité des électeurs du Royaume Uni à préférer quitte l'UE.
Hier, je vous ai présenté le nouveau livre de David Goodhart, The Road to Nowhere, qui s’interroge sur la montée du phénomène populiste, en Grande Bretagne, et dans le reste de l’Europe. Il établit une opposition entre ceux qu’il appelle les « Anywheres » et les « _Somewhere_s ». La montée du populisme serait l’une des conséquences de l’exaspération ses « Somewheres ».
Oui, la typologie de David Goodhart, « Peuple de quelque part » versus « Gens de Nulle part ou de partout », recoupe en grande part d’autres tentatives de classification du même genre, telle que celle proposée par l’Américain Thomas Friedman entre « le peuple du mur » et « le peuple du web ». Celle-ci fait elle-même écho à la lutte politique qui, chez nous, oppose de longue date souverainistes et européistes. D’autres encore préfèrent parler d’insiders et d’outsiders. Le géographe français Christophe Guilluy oppose la France périphérique aux bourgeois-bohêmes des métropoles. Mais finalement, tous tendent plus ou moins à décrire un même phénomène de fracture sociale qui revêt des aspects à la fois sociaux et culturels.
Il y a, dans l’air, comme une nouvelle lutte des classes entre les bénéficiaires de la mondialisation et ses laissés-pour-compte. Et elle fragilise nos systèmes politiques. Car ceux-ci étaient bâtis sur l’alternance de partis de centre-droit et de centre-gauche qui, en vérité, étaient d’accord sur l’essentiel : la poursuite de l’ouverture et de la libéralisation. Ces partis traditionnels de gouvernement sont aujourd’hui en crise. Mais surtout, selon Goodhart, ceux du centre-gauche, grignotés à la fois par les partis populistes, qui séduisent leur ancien électorat ouvrier, et par une nouvelle gauche, écologiste ou libérale, qui leur dispute les jeunes diplômés.
Mais s’ils sont en crise, prétend David Goodhart, c’est surtout parce qu’ils étaient devenus la voix des Gens de Nulle Part, celle d’une élite technocratique déconnectée des réalités de terrain. Dans toute l’Europe, l’émergence de partis populistes a montré qu’une partie de la population ne se reconnaissait plus dans un système trop verrouillé. Sans remettre en cause nécessairement l’autonomie individuelle nouvellement acquise, le Peuple de quelque part exprime un besoin de sécurité et de protection qu’il faudra bien prendre en considération. Et cette question se pose, d’une manière ou d’une autre, dans tous les grand pays anciennement industrialisés.
Mais ce qui fait le grand intérêt du livre de David Goodhart, c’est qu’il éclaire fort bien ce qui s’est joué dans le Brexit. Car, tout de même le cas britannique demeure très particulier.
Et d’abord, cette révélation : oui, la plupart des électeurs du Leave avaient conscience de voter contre leurs intérêts. Les élites cognitives leur avaient répété que la croissance, dans leur pays, connaîtrait de sérieux ratés, en cas de fermeture du marché unique européen. Les électeurs en ont pris note, mais ils ont voté quand même à 52 % pour couper les amarres. Ils ont préféré l’identité culturelle britannique et la souveraineté nationale ! Ils ont voulu retrouver la maîtrise des flux migratoires. Les partisans du Remain ont eu le tort de faire une campagne axée presque exclusivement sur les aspects économiques du Brexit. Il aurait fallu insister sur l’amour de l’Europe qui, contrairement à ce qu’on imagine sur le continent, est très présent au Royaume-Uni. Les Britanniques ne sont nullement des insulaires, selon Goodhart.
-L’Union européenne aurait été, selon Goodhart, un véritable cas d’école de l’ubris technocratique des Gens de Nulle Part. Au départ, le projet d’une modeste union douanière, doublée d’une politique agricole commune, était raisonnable. La CEE se voulait un espace économique intégré, permettant en outre un haut niveau de coopération politique entre ses membres. Et c’est cette Europe-là qui a séduit les Britanniques.
Mais ceux que Goodhart appelle « les vrais croyants » n’avaient jamais renoncé à leur utopie de parvenir à une formule politique fédérale. Ils ont mis sur pied un Système monétaire européen qui fonctionnait mal. Il a fallu donc pousser un cran plus loin. Et ce fut la création de l’euro, obtenue par les Français pour contenir une Allemagne que rendait inquiétante sa réunification. Mais, prétend Goodhart, les concepteurs de l’euro savaient parfaitement qu’zone monétaire intégrée ne pouvait elle-même fonctionner qu’en étant dotée d’un budget propre, d’une politique fiscale harmonisée, d’un transfert de ressources entre régions riches et régions pauvres…. Bref, ils ont fait comme d’habitude : provoquer un déséquilibre destiné à être rétabli par de nouveaux pas en avant vers davantage d’intégration. En outre, pour des raisons purement politiques, on a décidé d’agréger à la zone euro des pays dont les économies étaient bien trop différentes, comme la Grèce.
C’est cette façon de forcer toujours la main aux peuples pour une « union toujours plus étroite » qui, même s’ils n’ont jamais considéré la possibilité d’abandonner la Livre sterling, aurait poussé les Britanniques à quitter l’Union européenne.
Mais ce qui a fait déborder le vase, selon Goodhart, c’est la libre circulation des personnes au sein d’une UE, par ailleurs, incapable de protéger ses propres frontières. En 2004, le gouvernement travailliste a décidé d’accueillir sans délai les habitants des nouveaux Etats membres d’Europe centrale. Il en attendait quelques milliers et ils furent un million. Résultat : la Roumanie a perdu un tiers de ses médecins, partis à l'ouest. Et la Bulgarie ou l’Estonie, face au double péril de la faible fécondité et de l’émigration, se vident rapidement de leur population…
« La liberté de circulation est, des quatre libertés, la plus controversée, car la moins compatible avec la conception britannique de l’Etat-nation normal », écrit-il. On comprend mieux.


Trop de diversité sape les fondements de la solidarité

Depuis longtemps, David Goodhart avertit les Britanniques que l'idéologie multiculturaliste constitue une menace à moyen terme pour les Etats-providences.
Quelles réactions provoque le livre de David Goodhart, The Road to Somewhere, dont je vous parlais hier ? Comment les médias, en particulier, prennent-ils sa thèse selon laquelle ils sont eux-mêmes, comme la classe politique et l’Université, entre les mains des « Gens de Nulle Part », ces libéraux cosmopolites - que rejetterait « le Peuple de Quelque part » ?
Très intéressante réaction dans le quotidien de gauche, The Guardian. Sous la plume de Jonathan Freedland, on peut lire que David Goodhart est, hélas, une sorte de prophète. Freedland rappelle, en effet, la vague d’indignation qu’avait soulevée, dans l’intelligentsia de gauche de l’époque, l’article publié par Goodhart dans Prospect, intitulé « Est-ce que la Grand-Bretagne est trop diverse ? » C’était dans le numéro de février 2004 de ce magazine intellectuel, plutôt proche des idées du New Labour, dont Goodhart était alors le directeur. Ce papier a valu à son auteur, écrit The Guardian une quasi-proscription des milieux comme il faut. Et pourtant, ajoute-t-il, cet article était tout bonnement prophétique. Car il posait crûment une question que personne ne voulait voir, à l’époque, et qui est devenue le sujet dominant de notre vie politique.
J’ai conservé ce numéro « collector » de Prospect. Qu’écrivait donc David Goodhart pour passer soudain dans le camp des traîtres à la cause ? Que la solidarité risquait d’entrer en conflit avec la diversité. Vous êtes d’autant mieux disposés à laisser l’Etat recueillir une part importante de vos revenus sous forme de cotisations et d’impôts, disait-il, que vous avez la certitude que cet argent sera redistribué à des gens qui sont comme vous. Si leurs valeurs et leurs styles de vie diffèrent trop des vôtres, alors vous deviendrez réticent.
Il faut choisir entre deux modèles de société, disait Goodhart. Celui de la Suède, cette nation très homogène où l’Etat-providence vous accompagne du berceau à la tombe, ou celui des Etats-Unis, où l’individualisme et la diversité font qu’on se sent peu d’obligations réciproques.
Il s’appuyait sur les travaux de deux économistes, Alberto Alesina et Edward Glaeser, qui avaient démontré cette thèse, chiffres à l’appui. Aux Etats-Unis, la majorité des pauvres appartiennent à des communautés ethniques minoritaires. Les plus aisés, majoritairement blancs, sont peu enclins à partager. Voilà ce qui risque d’arriver à notre Royaume Uni, prévenait Goodhart, si nous poursuivons dans la voie du multiculturalisme. Car il crée, entre des communautés, un sentiment d’étrangeté qui ne favorise pas la solidarité. L’inclination à s’obliger mutuellement alors s’érode. L’Etat-providence britannique, très généreux, contrairement à ce qu’on croit chez nous, était déclaré menacé.
L’article était d’autant plus prophétique, poursuit The Guardian, qu’il a été publié à la veille de ce que Goodhart lui-même, dans son récent livre, appelle « the one », la grande vague migratoire, la plus inattendue. C’est celle qui a suivi l’ouverture du marché du travail britannique aux citoyens des nouveaux membres de l’Union européenne, l’Europe centrale. La plupart des autres Etats d’Europe occidentale, et même les Allemands, avaient décidé un moratoire de plusieurs années. Mais le New Labour au pouvoir a voulu montrer son ouverture. On attendait quelques milliers de « plombiers polonais » et ils furent un million.
C’est d’autant plus incompréhensible, écrit Goodhart, que déjà à l’époque, les sondages montraient que près des trois quart de la population estimait le rythme de l’immigration dans le pays trop rapide. Trois quart des sondés estimaient et que le pays avait changé au point qu’on ne s’y sentait « plus chez soi ». Pour Goodhart, qui fut lui-même membre du Labour, ce refus d’entendre ses propres électeurs sur la question de l’intégration, constitue l’une des causes de l’échec électoral de 2010, face aux conservateurs.
Le modèle multiculturaliste n'a plus la cote auprès des Britanniques. On se souvient comme ils se moquaient, de notre modèle d’intégration républicain... Si l’on en croit Goodhart, le multiculturalisme n’est plus qu’une « idéologie qui a dominé les années 80 »…. Passée de mode. Et il cite une critique qui les résume toutes, celles de Maajid Nawaz, journaliste et homme politique libéral-démocrate, « au lieu d’introduire de la diversité dans la société, le multiculturalisme introduit de la diversité entre les groupes ethniques d'une même société».
Quant à l’intégration, Goodhart écrit que les Britanniques sont encore trop réticents à l’idée de fournir aux nouveaux venus une « feuille de route ». Or, ajoute-t-il, les immigrés ont besoin de savoir ce qu’on attend d’eux. « Si on veut améliorer l’intégration, écrit-il, on ne peut pas se contenter de prêcher l’importance de la tolérance, on doit promouvoir l’interaction et le sentiment d’inclusion dans la communauté nationale. Comme l’a dit Jonathan Haidt, il est possible de faire en sorte que les gens se soucient moins des questions de race et d’identité, lorsqu’on les plonge dans une mer de ressemblances, de buts partagés et de dépendance mutuelle." Une cause commune d’intérêt local, en particulier, est un puissant facteur de rassemblement.
Car la puissance des nations est fondée, poursuit-il, sur leur capital social – la confiance mutuelle qui existe entre leurs membres ; le fait qu’ils partagent les mêmes intérêts et les mêmes valeurs. C’est cette confiance en un avenir commun qui a rendu possible la construction, sur plusieurs générations, des cathédrales. C’est aussi sur cette confiance réciproque que sont fondés nos Etats-providences redistributifs. Seul, le cadre national, insiste Goodhart, fournit le cadre dans lequel peut s’exercer cette indispensable solidarité.

jeudi 30 mars 2017

 Trouvé sur blog louche de fans de loups:

Qu’est-ce qu’un loup Oméga ?
Un loup Oméga est indispensable à la survie d’une meute, même s’il est placé au dernier rang.
Ce loup a pour mission instinctive de briser les hostilités pour faire baisser les tensions au sein d’une meute. Il est le bouc émissaire, le souffre-douleur, qui reçoit toute l’agressivité sociale du reste de la meute.
D’une certaine manière il est un petit guérisseur. Par ailleurs, il prend des coups et a une position peu enviable, car il se place au milieu des querelles pour essayer de calmer les autres loups, apaiser leurs stress, les faire passer de l’agressivité à la sérénité. De ce fait, il rétablit l’équilibre. C’est quand même un cadeau que d’avoir l’Oméga. Il est le dernier à manger dans la meute. Néanmoins, Il est parfois récompensé par l’alpha pour ces actions d’apaisement. Il est donc d’une grande utilité.
On le reconnaît à sa posture, fourrure aplatie, oreilles baissées, il rase le sol, la queue repliée entre les pattes.
Dans le monde des loups, toute la meute mange en fonction de ce que les loups représentent dans leurs essences absolues. Tous les rangs ont un rôle qui se respecte.
Quelle leçon l’homme a à prendre des loups ? La leçon des rangs, de l’attitude, la question est :
Qui je suis ? Pourquoi je suis là ? Pourquoi faire ?
Accepter ce que l’on est, trouver un équilibre, être en harmonie avec soi. Les loups ne trichent pas, ils sont ce qu’ils sont. Le premier a autant d’importance que le dernier dans leur monde. Car chacun connaît sa place. Si on ne comprend pas cela, c’est l’autodestruction.


Le chien est issu des loups Oméga domestiqués…

mardi 21 mars 2017

Musique électronique: Lorn (Illinois); Gesaffelstein (Lyon, pas tout); Vitalic (moins bien, Dijon)

Doom Metal: Runemagic (suédois, mais la voix ne me plait pas); Reverend Bizarre (finlandais, très lyrique)

samedi 18 mars 2017

varia:

• j'apprends tardivement que le "Captain Flam" des dessins animés japonais est l'adaptation des romans "Captain Future" d'Edward Hamilton, années 40 - non traduits en français jusqu'à il y a peu.

• j'apprends que le musicien de doom metal Paul Chain, italien, avait dans les années 70-80 un groupe de "evil metal" nommé "Death SS". Musicalement, c'est bien.

mardi 14 mars 2017

Lu ceci: de bonnes pages, sur la fin, synthétique, surtout:

François Noudelmann, Le Génie du Mensonge, 2015 (crit Phimag, Catherine Portevin)

Les philosophes, qui aiment la Vérité, seraient-ils en réalité des menteurs ? Géniaux ou honteux, créatifs ou rusés, mais tout de même des affabulateurs ? C’est la question provocante que pose François Noudelmann, sans une once de malice. Il part de son étonnement « sans doute naïf » à voir combien la vie de ses pairs philosophes est parfois en contradiction radicale avec leur doctrine. Le constat est tout bête, certes, et peut s’appliquer à tout un chacun, mais il gêne ou agace d’autant plus chez les philosophes qu’ils ont, par profession, le verbe haut et les idées élevées. Plus béant, donc, semble l’écart. Tel penseur de l’amour est un pingre, tel chantre de l’hédonisme un triste sire, Rousseau, qui écrit un fameux traité d’éducation, a abandonné ses cinq enfants, Sartre, philosophe de l’engagement, a vécu la guerre en planqué, Foucault prononce son cours sur « Le courage de la vérité » en dissimulant soigneusement être atteint du sida, Deleuze théorise le nomadisme mais déteste voyager et, tandis que le féminisme naissant se nourrit du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, celle-ci écrit des lettres brûlantes à son amant Nelson Algren où elle se rêve en femme soumise…
Il arrive qu’un auteur ne ressemble pas à ce qu’il écrit, peut-être même n’écrit-on jamais qu’à partir de ce qu’on n’est pas. Que faire de ce constat ? On peut en tirer une trop hâtive conclusion – en disqualifiant l’œuvre par la biographie. Ou bien le balayer avec dédain, comme s’il risquait d’attenter à la noblesse des idées. François Noudelmann, lui, prend le lieu commun au sérieux et la philosophie à revers en faisant, non de la Vérité, mais du mensonge un problème philosophique. Et c’est là que Le Génie du mensonge décolle et mène loin.

Il ne s’agit pas de jeter l’Émile au feu et le prof au milieu, d’invalider tout l’existentialisme de Sartre, encore moins de jeter le doute sur les fondements mêmes du féminisme. Ne s’appuyant que sur des philosophes qu’il admire (Rousseau, Sartre, Foucault, Beauvoir, Levinas, Derrida, Kierkegaard, Nietzsche…), il suspend tout jugement moral pour regarder méthodiquement comment ça marche ce « mensonge à soi-même », ce « mentir-vrai » qu’Aragon reconnaissait aux poètes et que l’on est si surpris de trouver chez les amoureux de la raison. Que disent ces écarts entre la théorie et la vie de l’activité de penser elle-même : « Qui sommes-nous lorsque nous pensons ? »
En usant des ressorts de la psychanalyse, c’est dans les œuvres même des penseurs-menteurs que Noudelmann détecte le chemin tortueux que prend la recherche de la vérité : fétichisme des concepts, personnalités multiples, « libido affirmandi » (le « désir d’affirmer »)  – piège névrotique typique de l’activité philosophique ! Il touche ainsi un point souvent aveugle chez les philosophes : la relation à soi-même, et au monde, qu’engage ce goût particulier pour l’abstraction des concepts. Ce n’est pas seulement que les philosophes seraient des menteurs, c’est leur activité même qui consiste, si l’on ose dire, à créer des vérités comme on crée des fictions. Si François Noudelmann désenchante ainsi la philosophie de sa croyance en l’exercice de la raison ou de ses rêves de « vérité nue », c’est pour inviter à la lire autrement, sensiblement, comme une affaire humaine, « trop humaine », dirait Nietzsche, qui se saisit autant dans ses chuchotements que dans ses proclamations magistrales. Lui qui naguère observait la relation des philosophes à la musique (dans Le Toucher des philosophes. Sartre, Nietzsche et Barthes au piano, paru chez Gallimard en 2008) ouvre ici à une écoute musicale de la philosophie. Comprendre une pensée, c’est d’abord savoir entendre une voix.

jeudi 9 mars 2017

Clips de Massive Attack (groupe dont je n'aime pas trop la musique par ailleurs): du beau linge, et bien filmés.

mercredi 1 mars 2017

Cette page de la cinémathèque française m'explique assez bien en quoi les (affreux) films de Jesse Franco constituent une séduisante (pour moi) borne de quasi non-retour, antidote à l'épuisante inutilité narrative du cinéma:

Fragments d’une filmographie impossible

« Une bibliothèque n’est pas complète sans les œuvres du Marquis de Sade »
Les Inassouvis
« Allons-y, mes chers amis, jouissez ! »
Exorcisme et messes noires
Jess Franco a réalisé près de deux cents films, un exploit que l’on pensait appartenir à une histoire révolue du cinéma et réservé à la génération des fabricants de séries B de l’âge d’or hollywoodien. Comme, disons, Allan Dwan ou Sam Newfield, pas à un cinéaste contemporain de ce que l’on a appelé la modernité cinématographique. La frénésie de tournage dont fait preuve Franco (il signera plus de 10 films en 1973, par exemple) et surtout les conditions mêmes dans lesquels il travaillait, ont véritablement bouleversé le statut de l’œuvre cinématographique tel qu’il s’était institué au moment « moderne » du cinéma, celui de l’affirmation de la toute-puissance symbolique de « l’auteur ». Ses films ont souvent plusieurs titres, existent en versions différentes, plus ou moins corsées selon les pays, en versions « habillées » ou « déshabillées », avec ou sans inserts érotiques ou pornographiques quelquefois montés directement sur la copie d’exploitation. D’un pays à l’autre parfois, le récit change par la grâce d’un nouveau montage et d’une autre postsynchronisation (Al otro lado del espejo/Le Miroir obscène), le genre aussi (entre Los Amantes de la Isla del Diablo et Quartier de femmes, il y a la distance qui sépare un mélodrame d’un film de prison érotique et brutal). Quand il ne réemploie pas les séquences d’un film tourné six ans plus tôt pour en faire un autre, remonté différemment et agrémenté de nouvelles scènes (Exorcisme et messes noires en 1974 devenant Le Sadique de Notre Dame en 1979). L’homme se cache souvent derrière une forêt de pseudonymes. L’inachèvement et l’indéfini sont consubstantiels de sa filmographie tout autant que l’énergie incroyable qui l’a fait croitre en s’enrichissant chaque année de plusieurs nouveaux titres.
Absolument contemporain de ce que l’on a appelé le cinéma moderne, Jess Franco n’a pas suivi la voie des meilleurs de sa génération, attachés à en finir avec le classicisme, à renouveler les formes et à recourir à diverses techniques de distanciation. En empruntant un chemin a priori diamétralement opposé de celui-ci, il n’en a pas moins mené une entreprise de déconstruction aussi radicale que celle d’un Godard. Car lorsque Franco commence à réaliser des films, toutes les histoires ont déjà été racontées par le cinéma. Son érudition cinéphilique (une constante de sa génération) constitue l’arrière-boutique intellectuelle d’une œuvre où, désormais, les mythologies des genres ne sont plus que des figures de rhétorique que le cinéaste met à nu. La beauté de son adaptation « fidèle » du Dracula de Bram Stocker (El Conde Dracula/Les Nuits de Dracula en 1969) réside justement dans ce dépouillement lyrique. Que reste-t-il alors ? L’émotion, la poésie, la pulsion à l’état chimiquement pur. Franco a enchaîné des films à petit budget, d’autant plus fascinants qu’ils semblaient ne plus rien raconter du tout.
L’œuvre de Jess Franco n’a été longtemps possible que parce qu’il existait des salles de quartiers. C’est à cette particularité de l’exploitation, à une époque où la consommation populaire du cinéma se repaissait de doubles programmes promettant de l’érotisme, de la terreur et de la violence, que l’on doit l’existence et l’évolution du cinéma de l’auteur de Gritos en la noche. C’est la logique de flux (deux nouveaux films chaque semaine) de ce que l’on appelle le cinéma-bis, les exigences de l’exploitation populaire, qui ont rendu possible l’art de Jess Franco et, paradoxalement, l’ont libéré de toute entrave.

Un itinéraire excentrique et souverain

Jesus Franco Manera est né en 1936, à Madrid. Il abandonne la faculté de droit pour étudier le cinéma et effectue un séjour à Paris, au début des années cinquante, où il a l’occasion de fréquenter la Cinémathèque française, en même temps que les futurs auteurs de la Nouvelle Vague. Il devient assistant notamment de cinéastes comme Leon Klimovsky ou Joaquin Romero Marchent mais aussi Juan Antonio Bardem qui a incarné le renouveau du cinéma espagnol. Après trois documentaires, il réalise son premier long-métrage en 1959, Tenemos 18 anos. C’est, en 1961, avec son cinquième film, une coproduction avec la France, que son cinéma va sortir des frontières de son pays, condition essentielle pour permettre à ses obsessions de se déployer à l’abri de la censure franquiste. Gritos en la noche/L’Horrible Docteur Orloff a été vu comme l’acte de naissance du cinéma d’horreur espagnol. Il est évident que le film n’aurait sans doute pas été possible sans le succès récent des bandes de terreur gothiques britanniques (Terence Fisher) tout autant que celui des relectures baroques du cinéma italien (Riccardo Freda, Mario Bava, Antonio Margheriti). Mais Gritos en la Noche est bien plus que cela. Le postulat prométhéen (un chirurgien fou tente de redonner sa beauté à sa fille défigurée en faisant enlever par son assistant monstrueux des jeunes filles dont il veut retirer la peau du visage) est constamment tourmenté par une ambiance malsaine, un érotisme parfois cru et trivial (la version française comporte de furtifs plans de poitrines dénudées), l’usage d’une musique de jazz dont l’effet expressionniste repose sur le décalage perceptif qu’elle produit (une forme de dissonance audio/visuelle), un remarquable sens du cadre et de la lumière et le sentiment d’une distanciation subtile, non dénuée d’humour, d’une redoutable intelligence.
S’ensuivit une série de titres sacrifiant superficiellement aux règles des genres, incroyablement stylés, dialoguant subrepticement autant avec les nouvelles vagues qu’avec la tradition de la série B hollywoodienne, comme La Muerte silba un blues/077 Opération Jamaïque en 1961, Rififi en la ciudad/Chasse à la mafia en 1963, Miss Muerte/Dans les griffes du Maniaque en 1965, Cartas bocas arriba/Cartes sur table en 1966. La Muerte silba un blues et Rififi en la ciudad le font remarquer d’Orson Welles, qui lui confie la direction de la seconde équipe de Chimes at midnight/Falstaff. Nul doute que l’auteur de Citizen Kane n’ait reconnu une sorte de petit cousin dans la personnalité et l’œuvre de Franco, sa manière de perdre le spectateur dans le labyrinthe de ses propres pulsions. Sa rencontre avec le producteur allemand Adrian Hoven est l’occasion pour Franco de se libérer davantage des conventions. Necronomicon, en 1967, est remarqué au festival de Berlin par Fritz Lang lui-même. Fausse œuvre-pop, fonctionnant par association d’idées, déployant à partir d’une intrigue minimale un champ ouvert sur un infini de sensations inédites, payant une dette autant à la bande dessinée et au roman-photo érotiques qu’à la poésie surréaliste, Necronomicon sera suivi de deux faux films d’aventures et d’espionnage, Kiss Me Monster et surtout Sadisterotica, où le cinéaste prend toute latitude par rapport à ses propres références et il livre une métaphore sur sa propre activité. Après le refus d’une proposition de travailler à Hollywood, la carrière de Franco va se découper en périodes correspondant aux années de travail avec des producteurs européens spécialisés dans le film à petit budget et spéculant sur les diverses libéralisations des censures, ouvrant la voie à un érotisme cinématographique de plus en plus décomplexé : l’Anglais Harry Alan Towers, les Français Robert De Nesle ou Marius Lesœur, le Suisse Edwin C. Dietrich. Chaque période paraît superficiellement marquée par un style particulier, pourtant le cinéma de Franco va demeurer fidèle à des obsessions que le cinéaste ne cesse de travailler, de creuser, de déployer, de ressasser.

Jess Franco voyeur

Le cinéma de Franco raconte-t-il encore des histoires ? Le cinéaste a souvent filmé le même scénario, répétant délibérément les mêmes intrigues, une manière de ne plus leur accorder la valeur de récit tel que le cinéma s’est longtemps complu à la légitimer. Gritos en la noche fera ainsi l’objet d’un certain nombre de variations, de El secreto del doctor Orloff/Les Maîtresses du Docteur Jekyll en 1964, à Der Dirnenmörder von London/Jack l’éventreur avec Klaus Kinski en 1976, sans parler de Névrose/El Hundimiento de la casa Usher qui, en 1983, en empruntera des séquences entières. Le récit de vengeance de Miss Muerte est décalqué dans Sie Tötete in Extase/Crimes dans l’extase avec son égérie du moment, Soledad Miranda, en 1970. La machination des Cauchemars naissent la nuit (1970) revient dans Die Teuflishen Schwestern/Deux sœurs vicieuses en 1977. Sans parler de la multitude de films relevant de ce genre pittoresque que l’on appelle les WIP (Women In Prison), misant sur le fantasme des infinies possibilités sexuelles et violentes de la promiscuité dans les prisons de femmes : 99 Mujeres/Les Brûlantes en 1968 à Frauen fur Zellenblock 9/Esclaves de l’amour en 1977, en passant par Quartier de femmes (1970), Frauengefangnis/Femmes en cage de 1975, Greta, Haus Ohne Manner/Le Pénitencier des femmes perverses en 1977, etc. Un choix qui valut à Franco le dédain d’un certain nombre d’amateurs qui le suivaient jusqu’alors. Les nécessités d’une progression discursive de l’intrigue sont souvent balayées d’un revers de main, en quelques phrases. Dans Miss Muerte, comme par l’effet d’une divination, le policier imagine (« Il se peut qu’elle ait été enlevée par certaines gens qui ont manipulé son cerveau… ») le fin mot de l’énigme. Souvent, comme le début de Diamants pour l’enfer (1975) peut en témoigner ou l’errance sans fin de La Comtesse noire, (chef-d’œuvre de 1973 illuminé par Lina Romay, qui deviendra plus que son actrice, un modèle s’identifiant à l’art même de Jess Franco) toute la dimension romanesque est contenue dans une voix off qui, sur des plans a priori dénués de signification narrative, condense alors tout un récit que l’on ne verra guère se dérouler à l’image. Celui-ci se consume donc proprement dans tout autre chose. Dans le simulacre devenu à la fois spectacle et vérité du spectacle. Les scènes de cabarets sont fréquentes dans le cinéma de Franco, goût particulier, personnel et constant du cinéaste. Elles ne constituent pas une péripétie « touristique » de l’intrigue, comme partout ailleurs, mais bien davantage le centre même du cinéma de l’auteur de Miss Muerte. C’est d’abord une métonymie des films eux-mêmes, dispositifs voyeuristes au cœur desquels le spectateur va se perdre, englouti par la force même de son désir de voir. La violence y est parfois mimée (cf.. le début de Necronomicon, de Vampyros Lesbos en 1970 ou bien de Exorcisme et messes noires en 1974), ce qui, insidieusement, confèrera plus tard à la brutalité diégétique un statut tout particulier. Le sang devient du rouge. Le sexe y est chorégraphié, mis en scène, au rythme d’une torsion non naturelle des corps. Mannequins, poupées et pantins remplacent parfois ceux-ci, déshumanisation « moderne » du personnage de cinéma ou érotisation fétichiste de l’inanimé. C’est ainsi que les situations de voyeurisme abondent dans les films de Franco. Assister aux ébats sexuels des autres est une situation courante, soit une scène primitive traumatique, comme dans Die Teuflishen Schwestern, soit, le plus souvent, le but secret des protagonistes (ce sont les moments les plus personnels, les plus « signés » des Prédateurs de la nuit réalisé en 1987).

Jess Franco architecte

Jess Franco aime les espaces insolites, distordus parfois, incongrus, décalés, « dissonants ». C’est sans doute, entre autres choses, dans cette quête du décor étrange que le réalisateur rattache son œuvre à l’expressionnisme cinématographique. Mais le décor est ici, économie du tournage aidant, entièrement « naturel ». Pas de décorateur attaché à construire des artefacts mais la quête de lieux à la fois réels et étonnants, de ce qui, dans l’architecture moderne, ne recherche pas la fusion idéale avec une nature irréprochable mais ce qui s’en démarque ostensiblement, ce qui y introduit, pour le regard, une anomalie de la perspective. Des constructions de Gaudi habitées par les protagonistes des Infortunes de la vertu, en passant par les ensembles bétonnés, d’une fascinante laideur, de la Costa del Sol, de Benidorm, d’Alicante ou de La Grande Motte. La maison isolée de Sie Tötete in Extase, celle de La Comtesse perverse en sont aussi des exemples frappants. Qui a vu de nombreux films du cinéaste a itérativement aperçu tel escalier à la rampe faite d’une corde, par exemple, et utilisé régulièrement pour sa valeur topographique et dramatique. Franco reconstitue l’Amérique du Sud à Nice et l’Angleterre du XVIIe siècle au Portugal ou en Espagne. L’espace est purement mental. La réitération des mêmes décors, endroits et lieux divers participent de ce mouvement d’envoutement qui dépasse chaque titre, réduit à la qualité d’épisode d’un vaste feuilleton. Mais la mise en scène elle-même invente une cosmogonie transmutée par les choix de focales, le recours au grand angle, la dynamique de la profondeur de champ, les contre-plongées et surtout les zooms. Chaque plan frappe par son inspiration souvent foudroyante. Spécialiste de la série B, Franco sait comment donner une énergie immédiate au cadre avec peu de moyens.

Jess Franco musicien

On le sait, le cinéaste est musicien, particulièrement amateur de jazz. Il lui arrive de composer ou de participer à la composition des musiques de ses films. Celle-ci, surtout lorsqu’elle est signée Bruno Nicolai ou Daniel White, contribue au lyrisme de certains d’entre eux à l’argument apparemment trivial. Le décalage entre l’image et la musique, l’effet inouï obtenu avec Gritos en la noche sera répété plusieurs fois. Dans Les Démons en 1970, c’est une sorte de jazz-rock avec flûte, percussion et guitare électrique, qui s’impose sur les images d’une Angleterre du XVIIe siècle. Lyrisme, effets de dissonance, (sans que ceux-ci soient perçus de façon contradictoire) sont donc recherchés par le cinéaste. Mais c’est, au-delà de la bande-son, toute la mise en scène et la progression du film qui relèvent d’une musicalité essentiellement attachée à plonger le spectateur dans un état de transe et d’hypnose.
A cet égard, montrer près de soixante-dix films est sans doute une forme de pari. Il s’agira de voir cette rétrospective comme un voyage, un trip, une expérience hallucinogène à laquelle le spectateur devra se prêter. L’usage compulsif du zoom qui lui a souvent été reproché est une manière, entre autre chose, de refuser tout centre, tout punctum, à une image qui régulièrement s’abîme dans le flou, et surtout se brûle elle-même dans la vision onaniste de scènes de lesbianisme languides ou de masturbation féminine. Le cinéma de l’auteur de Doriana Gray se réduira, de plus en plus, à de longues plongées mélodiques sur des corps de femmes tordus par le plaisir. Le zoom devient une érection visuelle tendue vers le sexe féminin. La vulve est l’Eldorado de l’artiste érotomane qui construit une œuvre entièrement déterminée par la volonté de voir l’indicible. Jess Franco fait penser à ces jazzmen acharnés à répéter le même standard et qui, à force de le jouer, en ont fait disparaître progressivement les lignes mélodiques pour n’en retenir qu’une essence en forme d’absolu.

Jean-François Rauger

Je viens de finir de lire le petit livre de François Julien, dont je parlais ailleurs.

Son titre complet, qui n'apparaît pas sur la couverture parce que pas vendeur et que ça ne sonnait pas assez "multicul", en fait, est : "Il n'y a pas d'identité culturelle - mais nous défendons les ressources d'une culture". Ce qui change un peu les choses.

Le propos est un peu inégal, mais intéressant: à la fois bien pensant, voire gnan-gnan (éloge de l'Andalousie et du parler "jeune" vivifiant (!), emploi du terme bateau: "vivre ensemble"…), mais en fait assez subtil (ré-étymologisation de cette expression, rappel qu'il n'y a de dialogue et de vitalité que dans "l'écart"), et parfois conservateur (ré-enseigner le grec et le latin, faire lire Molière et Pascal à l'école, refuser le règne mou de la "tolérance").

Plaidoyer général pour la circulation, la comparaison (pas le "clash", mais plutôt le réexamen de soi à la lumière de l'autre), la traduction, et la promotion des "ressources" - nées et grandies dans un "paysage" - linguistiques, artistiques, "d'art de vivre et de mœurs", qui seules permettent "l'intégration".

Chaque nouvel apport, souvent critique, étant une occasion de mieux lire et apprécier, dans "l'écart",ce qui a précédé: Rimbaud réactive La Fontaine, la surréalisme questionne Descartes…

Si on cesse d'entretenir ces "ressources", par exemple "l'élégance" française, alors on sombre dans le vulgaire (la télé-réalité), ou dans l'uniformisation du "globish" (critique du succès mondial de "Harry Potter", un peu injuste à mon sens).

Sur le plan anthropologicopolitique, des remarques théoriques (de la "tension" entre prétention (occidentale) à l'universel et singularité émerge la possibilité d'un "sujet"), des choses déjà dites (par Valéry: l'occident, c'est la Grèce, Rome et la Christ - la science, la loi, la foi - etc…), mais débouchant sur la constatation que, hélas, "l'Europe a été défaite" dès lors qu'on a renoncé à rédiger un préambule à sa Constitution - qui aurait du mentionner ses "ressources" ET chrétiennes ET rationalistes, puisque l'intérêt de l'Europe moderne n'est que dans la "tension" et "l'écart" productif entre ces pôles.

Intéressant au total.

mercredi 22 février 2017

Sur l'affaire Mehdi Meklat:

Viens d'entendre, sur France Culture, la petite chronique du souvent pertinent Xavier de la Porte (qui parle en général du numérique), sur l'affaire Mehdi Meklat - en notant au passage que dans la bouche des journalistes de Radio France, les deux jeunes gens "MehdietBadrou" ont soudain retrouvé leur nom de famille, prise de distance opportune, toujours assez mauvais signe pour les intéressés… (on sait que le prénom seul employé, dans les media, rapproche, "connive", sacralise, "inoffensise"… mais passons).

La chronique rend assez bien compte du caractère bizarroïde de l'affaire - à savoir des propos "à la limite", semi-confidentiels, mais suffisamment accessibles pour qu'on suppose que l'auteur devait obscurément savoir/vouloir qu'on lui demande des comptes tôt ou tard, propos qui semblent "dans l'ombre déconstruire ce qui d'un autre côté était publiquement construit" - d'où "psyché tourmentée" et "complexité" de M. Meklat. Lecture la plus réaliste, celle d'une énorme névrose (pour ce que ça veut dire), absolument banale et déterminée par ailleurs - dont l'équivalent exact serait la figure du curé ou pasteur respecté dont on découvre les fichiers pédophiles - ou du père-la-rigueur ponctionnant l'argent public : le surinvestissement sur de l'angélique et de l'exemplaire ne s'explique que par un rapport inavouable à l'objet du désir/déni. C'est du banal, du déterminé, de la névrose.

Celle du jeune homme, assez maousse pour faire de lui un gros troll (50000 twits! - depuis 2011, pendant 3 ans), me semble assez amusante à supposer. Une "complexité qui nous échappe"? Balayons tout ça.

Ce jeune homme "exemplaire" de banlieue, kabyle mais lettré (niveau terminale L, quand même), musulman mais ouvert et branché, revendicatif mais "républicain" (au sens place de la Ré), qui est/était surtout l'emblème d'un antiracisme portatif, facile à pratiquer par les hipsters ("mon pote arabe qui aime la techno et boit des bières, il est pas sympa?") - ce qui assure le succès et tient lieu d'absolution - avait créé, dit-il, un personnage de fiction, un "double maléfique". Voyons.

Pseudo: "Marcellin Deschamps". Sensé être un beauf "blanc", raciste, anti-immigrés, homophobe, etc… Soit, cela semble clair.
Or, par une étrange involution, et en semblant au départ, clamer sa vision caricaturale de l'"arabe" (voyou, égorgeur, etc…), selon le principe classique de l'ironie didactique (faire dire ce qu'on ne pense pas pour en souligner le caractère odieux), "Marcellin Deschamps" peu à peu, twit après twit, devint en fait le retour de la voix caricaturale de "l'arabe" caricaturé, renvoyant, depuis un site d'énonciation devenu illocalisable (puisque chambre d'écho: qui parle, dans ce qui devient le face à face où se construit l'image-caricature?), à l'idée désastreuse que l'on se fait de lui. Le mode d'ironie alors change: ce n'est plus alors de l'ironie didactique à la Voltaire ou Montesquieu, mais de l'ironie d'auto-accusation, à la Céline, Genet ou à la Nabe, de l'ironie de provocation abjecte, encore appelé "autocatégorème".

(wikipedia) "L'autocatégorème (substantif masculin), du grec autos (« le même ») et katêgoria (« accusation ») est une figure de style qui consiste à répéter une accusation envers soi délibérée, ou de le feindre, afin de susciter une dénégation de l'interlocuteur. Le locuteur feint souvent de reconnaître les défauts ou les vices qu'on lui attribue mais en les outrant, par une hyperbole généralement de façon telle qu'ils ne paraissent plus vraisemblables. L'effet visé est avant tout rhétorique, par un jeu sur le pathos (sur les sentiments de l'interlocuteur). L'autocatégorème appartient donc à la classe des répétitions visant l'ironie et l'atténuation. Il est proche du chleuasme et de la prospoièse."

Et là, le dispositif de Mehdi s'est cassé la figure - d'abord par manque de moyens littéraires, on est sur twitter! - et par sous-estimation des affects…
Pour répondre à l'image désastreuse que "Marcellin Deschamps", le "beauf blanc intolérant", est sensé avoir de lui, l'"arabe" virtuel lui répond en se conformant à cette image désastreuse: les twits deviennent DE FAIT homophobes, intolérants, voire islamistes (menaces d'égorgement…). Il est possible que la superposition d'une double-ironie (ratée) ait été voulue par Mehdi Meklat, dans l'idée, assez rebattue, de suggérer que l'intolérance crée des intolérants; que la peur des uns fait que la réalité, en raison même du refus d'acceptation, risque de se conformer à ces peurs; que c'est le bon bourgeois français qui a créé le monstre immigré; bla bla, etc… Rhétorique gauchiste et victimaire classique, qui ici se voulait finaude.

Le problème c'est qu'à s'inventer un père fouettard, un Ubu sadien, on se retrouve soi même sadisé, en posture masochiste, et voilà que l'on bascule (avec jouissance!) dans le camp de l'abject, éminemment réversible, et que l'on devient soi-même bourreau ordurier - et Sade, de tous les auteurs, est celui qui pour qui l'ironie est vraiment lettre morte… Qui trop crie au loup… devient le loup. Il sera donc chassé en meute, bien fait. Medhi alors a été avalé par "l'arabe" de "Marcellin", qu'il désirait être… DOUBLEMENT.


Les affects, disais-je… On sait ici ma petite passion pour la lettre des noms. Surtout des noms inventés, comme ici "Marcellin Deschamps"… Etrange quand même, moi je l'aurais pas trouvé, mais Mehdi l'a… - un peu de lacanisme de comptoir, pour rire?

Marcellin:
• Raymond Marcellin: "Ministre de l'intérieur de 1968 à 1974, incarnation du retour à l'ordre musclé après mai 1968", surnom "Raymond la matraque"
• St Marcellin: fromage au lait de vache, originaire du Dauphiné —> "fromage", surnom des français blancs dans les banlieues françaises
• Saint Marcellin: plusieurs saints de ce nom (dont le 29è pape, mort en 304)

"Marcellin": donc, le "sur-français", représentant d'un ordre réactionnaire (post-colonial), sur-viril (la matraque!), ancré dans un terroir repoussant (le fromage coulant), figure haïe mais quand même idéalisée (il est quand même "saint"!): le croquemitaine Super-Dupont, que l'on aime à haïr, faute de pouvoir envisager l'égaler. Une image du père que l'on n'a pas?

"Deschamps":
• d'abord, des champs, c'est à dire le terroir, la campagne, le village miterrandien avec clocher, tout l'inverse de la banlieue - qui pourtant, paradoxe, a été bâtie sur "des champs", et veut faire de la France avec du pas-français. Une image du lieu que par définition l'on n'habite pas, inhabitable?
• Didier Deschamps: entraineur blanc d'une équipe de foot noire —> ordre post colonial! what else? Et, quand ne sélectionnant pas des joueurs "arabes", accusé par Cantona d'être raciste en ces termes: "Deschamps a un nom qui sonne bien français. C'est peut-être le seul en France à avoir un nom aussi français. Personne ne s'est jamais mélangé avec personne dans sa famille. Comme les Mormons en Amérique. Donc je ne suis pas surpris qu'il ait profité de la situation de Benzema pour ne pas le prendre" - déception de ne pas être "pris", quand on le désirait, mais être "pris" par le blanc et blond Didier, eût-ce été bien honorable? Voir la suite.
• Belle des Champs: "Tu baguenaudes dans les pâturages, Tu t'en vas de promener, Belle des Champs, Qu'il est blanc qu'il est crêmeux ton fromage, Dis donne-nous en un peu, Belle des Champs, Dis tu nous en donnes, Oh oui donnes nous en, Donne donne donne, ô Belle Belle des Champs" (1981, pub connue même des jeunes, via Youtube): la Belle blonde (la république, la France?), le fromage (que l'on quémande, dont on aimerait manger), mais pour cela il faudrait être "des champs", comme la belle (Marine Le Pen?) - ou alors prendre la route buissonnière du "baguenaudage", et, faute de rencontrer la Belle qui donne du fromage, ETRE la Belle qui fait son fromage… C'est toute la vie de Mehdi, ça! Et on s'étonne qu'ensuite les twits résonnent d'insultes homophobes!

Comme le disait son collègue de France Cul, ce Medhi-là, écartelé entre identité et désidentité, désir d'en être et dégoût du "fromage", et de pas mal d'autres choses, semble bien avoir "une psyché tourmentée".
Moins que Dr Jekyll & Mister Hyde, il semble être à la fois le ver de terre amoureux d'une étoile et Frankenstein s'opérant lui-même, Lorenzaccio & Richard III surpris au lit, Jean Genet et Pierre Guyotat en conversation dans un chantier de ville nouvelle, et l'héautontimorouménos de Baudelaire…

e constate soudain que toute ma lecture lacano-truc se casse la figure, en cela que "Marcellin" était en fait "Marcelin"…!

Il faudrait que je refasse tout mon topo? Non, quand même, car je peux la faire courte.

Ce qui frappe avec "Marcelin", c'est que, par rapport à "Marcellin", il n'en a qu'une.
Un seul L. Une seule aile. Comment peut-il alors voler, comme il le devrait?
Et Marcelin, c'est Marceline. Pas Deschamps, mais Desbordes-Valmore.
Say no more.


La version "officielle"? Pas si mal: "Marcel Duchamp" est convoqué - par rapport à quoi "Marcelin" le "pouilleux" minimise (diminutif), mais "Deschamps" maximise (passage au pluriel): complexe d'infériorité-supériorité? - c'est bravache en tout cas, et il va finir par me convaincre!

«Jusqu’en 2015, sous le pseudo "Marcelin Deschamps", j’incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter. A travers Marcelin Deschamps, je questionnais la notion d’excès et de provocation. Mais aujourd’hui je tweete sous ma véritable identité. Les propos de ce personnage fictif (Marcelin Deschamps) ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l’inverse. Je m’excuse si ces tweets ont pu choquer certains d’entre vous : ils sont obsolètes»… «En 2011, j’avais 19 ans. J’ai rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la beauté. Sûrement "Marcelin Deschamps" suivrait ce chemin. Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas "dans la vie réelle", il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites ? Aucune.»
«Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister.»

Un commentateur de Libé (pas moi, je corrige juste l'orthographe affreuse) cependant rappelle:

"Quel hypocrite et menteur! Ce type aurait, selon lui, pris le pseudo "Marcellin" pour pasticher un beauf raciste, il se trouve que pas un de ses tweets sur des milliers ne s'en prend aux cibles habituelles des racistes: musulmans, noirs, arabes… Au contraire ses tweets s'attaquent aux laïcs, républicains, pro-charlie, à Charb, Fourest, Badinter… Ils sont homophobes, misogynes, communautaristes, font l'apologie du terrorisme. Pour beaucoup moins de petits apprentis haineux ont été lourdement condamnés."

«S’ils étaient trapézistes, Mehdi M. serait le voltigeur, le bravache qui s’élance dans les airs, qui part en vrille. Badrou A. serait le soutier, celui qui tient, qui rattrape, le mûr porteur», peut-on lire dans le portrait que leur consacrait Libération en 2014.

On va appeler le bravache Mehdi qui part en vrille, "Marcelin", et le solide mur porteur Badrou, "Pierre", ok?

(wikipedia) "Les saints Marcellin et Pierre (décapités vers 304) sont des martyrs romains. L’un était prêtre et l’autre exorciste. Ils sont mentionnés dans la première prière eucharistique de la liturgie latine (dite Canon Romain). Liturgiquement ils sont commémorés le 2 juin.
Marcellin était un prêtre éminent de Rome. D’après leur Passio (un texte que les bollandistes considèrent comme peu fiable) (note de moi: les bollandistes? faute de frappe?), ils furent arrêtés durant la persécution de Dioclétien. Marcellin fut d'abord couché nu sur du verre brisé, tandis que Pierre était entravé par des liens très serrés. En prison leur zèle obtient la conversion de leur gardien Arthemius, de sa femme et de sa fille.
Condamnés par le magistrat Severus (note de moi: mais justus!…) ils furent conduits dans un bois, décapités et enterrés de telle manière que leur lieu de sépulture reste secret. Le secret est trahi par le bourreau (qui lui aussi devient chrétien...) et leurs restes sont exhumés et ensevelis honorablement dans la catacombe de Saint Tiburce (via Labicana). Le pape Damase (fin du IVe siècle) témoigna que, encore enfant, il entendit de la bouche même de leur bourreau le récit de l’exécution de Marcellin et Pierre. Il composa une épitaphe en leur honneur. À la demande de sa mère Sainte Hélène l’empereur Constantin construisit une église au-dessus de leur tombeau.
En 827 les reliques des deux saints furent envoyées par Grégoire IV à Eginhard, secrétaire de Charlemagne, pour le monastère qu’il fonda à Seligenstadt, près de la ville contemporaine de Francfort (en Allemagne)."

Je n'ai pas dit que ce texte-ci soit bien écrit, mais on peut proposer une interprétation de ce que dit Reyes.

Pour elle (comme pour pas mal d'écrivains modernes), la littérature authentique est le domaine de la "vérité", qui ne se comprend que dans l'expression d'une singularité extrême, indépendante même des contingences et des ancrages sociaux (ce en quoi les écrivains modernes se fourrent le doigt dans l'œil! mais bon…).

A l'inverse, la "civilisation" moderne est, depuis longtemps (XIXè s.), celle de la marchandise, et assigne à la littérature entre autres une fonction de représentation sociale: les livres vont être destinés à un public ciblé, l'écrivain lui-même va être promu comme un "produit", en cela que le marché de l'art industriel va lui assigner une place identifiée, reconnaissable, rassurante… Même pas besoin à ce titre qu'il soit authentiquement "écrivain" d'ailleurs.

Ici, "Medhi M." était ce "produit" promu pour public prêt à acheter ce qui était vendu: "le-vrai-jeune-de banlieue-"mais"-intelligent-branché-intégré-etc". Ce genre de "produit", parce ses termes forment une sorte d'oxymore intenable où l'un détruit l'autre, est une construction en trompe l'œil, qui relève du kitsch… Transformé en tête de gondole creuse, le pauvre M. ne pouvait que pêter un plomb, d'où "dommage collatéral".

Mais le fait qu'il ait schizophréniquement twitté sa "part de vérité" ne fait hélas pas de lui un écrivain, parce que la "vérité" recherchée par l'écrivain n'est (en théorie) pas de celles que n'importe qui dans la même situation sociale aurait pu dire (ici, le "double maléfique" revendiqué était le "jeune-rageux-de-banlieue-qui-dit-du-mal-des-juifs, etc…", quelle originalité!!). Certes le "produit" n'est alors plus un pur ersatz, il fait nettement plus "bio"; mais alors, puisqu'il se conforme pile à ce que l'ancrage social le destinait à dire ou penser, il sort vraiment de la "littérature" …

Le "kid" Mehdi est grillé auprès du "bourgeois" parce qu'on a voulu faire de lui un fake, un produit consommable au nom de la "civilisation", qui n'aime pas qu'il y ait de l'inconsommable - et que lui-même n'a à la longue pas pu avaler (soi-comme-produit: l'aliénation, quoi!). C'est l'échec aussi de l'écrivain en lui, en cela qu'aucune "vérité" singulière ni même de "complexité" en fait n'a émergé de façon convaincante. C'est maintenant peut-être qu'il pourrait le devenir, mais c'est pas donné… Après un tel livre, pardon, de tels tweets," il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix", disait Barbey d'Aurevilly de Huysmans, après "A Rebours". Si on était vache envers Mehdi, on pourrait dire qu'il lui reste le choix entre Alain Soral et les frères musulmans.


Pour clore (pour ce qui me concerne) ces ratiocinations sur le pauvre Mehdi, dont le cas, vous l'avez vu, m'intéressait depuis des années (mais que vais-je faire de mon temps ? - et son ami Badrou, alors, que sont au juste ses idées à lui, personne ne lui demande, c'est à croire que, parce qu'il n'est pas "arabe", mais juste noir, c'est tout à fait secondaire… (sans doute vrai socio-culturellement parlant, l'enjeu est moindre pour l'instant)…

Le meilleur article-fleuve (d'autant que ça coïncide avec mes analyses modestes de ci-dessus) est de Claude Askolovitch, qui a conseillé Medhi M. dans cette passe difficile, qui l'a vu rejeter ses conseils. Ici il nous raconte le gars en "insider", et conclut assez brillamment sur tout ça - faut dire qu'Asko avait conseillé et accompagné DSK, il s'y connaît donc en auto-destructions spectaculaires! :

http://www.slate.fr/story/138005/mehdi- ... -immondice



"Mehdi Meklat porte les stigmates de la haine. Lynché par les uns, lâché par les autres, il a été digéré. On vient de vivre une histoire sordide. Je m’en suis mêlé, moi qui ne l’avais jamais rencontré.
J’ai parlé à Mehdi Meklat hier soir. Il était épuisé. Il savait ce qu’ils avaient fait – jadis, en s’autorisant, et maintenant, en fuyant ce qui le terrifiait. «Vous allez mûrir autrement», lui ai-je-dit, et il a acquiescé. Il avait eu tant de pression, pour que cela s’arrête. Nous nous étions parlé une première fois dans la matinée. Il hésitait encore. Il allait écrire, s’expliquer, et se donnait une latitude. «Je dois prendre mon temps, bien y penser, me disait-il. C’est un texte qui va compter dans mon existence.» Il parlait à mots menus. C’est un péché courant chez les écrivains de croire que l’écriture les sauvera de leurs destructions. Meklat avait écrit une première version de sa contrition. Elle était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la partager…» (…) Il semblait d’accord? Je me trompais. L’après-midi, il confirmerait, sur Facebook, sa version de la comédie reniée. Il se roulait par terre. (…) J’avais l’impression, à lire, d’une trahison, d’une exécution. Mehdi assassinait un vieux copain affreux, déconneur, sans limite, avec qui il s’était bien marré, avant, mais qui le comprenait; il tuait une partie de lui-même. Il effaçait ce qui, ce qu’il avait été. C’est ainsi que l’on fabrique des fantômes. Il reviendrait le hanter? "

"La nuit précédente, 50.000 tweets avaient été effacé de son compte Twitter: tous ceux qui avaient été postés sous le nom de Deschamps. «J’avais pensé le faire il y a des mois, quand j'avais changé le nom de mon compte, pour poster sous mon nom. Mais j’avais fait une fausse manip, et les tweets étaient restés», m’avait-il dit. Ils étaient restés assez longtemps pour qu’on les recopie, et qu’on les lui projette à la figure, pour le détruire. Acte manqué? Volonté inconsciente de laisser des traces, des preuves, pour qu’un jour, au moment où cela serait le plus brutal, la vague se lève et le punisse? Meklat voulait être puni? C’est arrivé, exactement."

"Dissociation ou logique. Choisir ses cibles. Être vengeur. Dire sa vérité honteuse. Ou se suicider. Ou s’interdire la tranquillité. S’accomplir, ou se nier. Ou tout cela à la fois. Être vrai, en se niant. (…) Dans l’ombre, Marcelin Deschamps attendait son heure. Il avait été inventé pour cela, parions-nous. Tweet après tweet, toutes ces années, Mehdi Meklat avait accompli sa pulsion de mort freudienne: l’instrument de sa destruction salutaire, quand il faudrait se punir d’être allé au bout. Alors, le châtiment jaillirait. Voilà ce que je suis, voilà ce que vous admirez, beuglerait Marcelin aux amants de Mehdi."

(je pensais ne plus m'intéresser à ce cas, mais ce que vous dites est intéressant)

Encore une lecture politique, qui n'est pas seulement celle des "jeux radicaux" des jeunes, mais plutôt de l'ordre de la "vraie" radicalité, à la Fanon ou à la Sartre: c'est le devoir de décevoir (les ex-colonisateurs), qui s'impose politiquement (aux post-colonisés), ne serait-ce que par refus du paternalisme… "Votre déception, c'est notre émancipation, parce que votre satisfaction, c'est notre prison", etc…

https://twitter.com/samdemange01/status ... 40/photo/1

Bon, c'est les "Indigènes de la République", cette lecture - que je pense partiellement vraie, parce qu'elle est psychologiquement plausible - même si ça me semble sans issue, parce que saboter les attentes (trop) bienveillantes, c'est toujours marquer la dépendance vis à vis de papa-maman…
Encore des artistes chantantes!

• découverte (?) de Florence + the Machine. Premier album salué (Lungs, 2009), second surproduit, troisième plus "modéré" avec une ou deux bonnes chansons. mais la dame surestime sa voix, pas si extraordinaire, de la quelle elle exige trop…

• redécouverte de Metric, et de sa merveilleuse chanteuse Emily Haines. Deux albums à acquérir: Fantasies (2011) & Synthetica (2012)

• entendu à la radio: Dear Reader, du folk raffiné. A écouter.

En France, Yelle, la Grande Sophie, Julie Armanet…

• De Californie, une autre Dionne Waewick, une chanteuse de confort voire de consolation : Kadhja Bonet

lundi 13 février 2017

J'apprends l'inévitable existence de groupes musicaux de "synthwave" ou "retrosynth".

Ecoute, indulgente mais sceptique, de Gunship, Dynatron, Powerglove…

Y ajouter Lazerhawk - édité chez Rosso Cosa, le label de ce genre de musiques.

Et les français Minitel Rose et Valérie.

Et Carpenter Brut (pas mal du tout!)

mardi 10 janvier 2017

Miscellanées (empruntées au petit livre connu de Ben Schott, 2005):

Loi de Hofstadter (Douglas, mathématicien et philosophe américain): "Un travail demandera toujours plus de temps qu'on le pense - même en prenant en compte cette loi".

Les sept sages :
SOLON d'Athènes: Rien de trop
CLEOBULE de Linde: La mesure est le meilleur des choses
PITTACOS de Mitylène: Saisis le moment opportun
PERIANDRE de Corinthe: La pratique est la clé de tout
BIAS de Priène: La plupart des hommes sont méchants
CHILON de Lacédémone: Connais-toi toi-même
THALES de MIllet: La mort ne diffère en rien de la vie

Gaz rares (mono-atomiques, stables - quasi-inertes): hélium, néon, argon, krypton, xénon, radon

Rois Mages: Gaspard Tarsis encens - Melchior Aarabie or - Balthazar Ethiopie Myrrhe

12 Césars: Auguste Tibère Caligula Claude Néron Vespasien Titus Domitien Nerva Trajan Hadrien Antonin

7 Collines de Rome : Palatin, Aventin (46m), Capitole, Quirinal (69m) Viminal, Esquilin, Caelius

Le roi Birman Nandabayin serait mort de rire en apprenant de l'ambassadeur de Venise que celle-ci n'avait pas de roi, en 1599.

vendredi 6 janvier 2017

Où je m'autocite:

Je pense de fait que pas mal de comportements s'expliquent par ce sentiment que je nomme "d'extranéité".

Extranéité

A.− Qualité d'étranger. "Le nombre toujours croissant des jeunes gens résidant en France, qui excipent de leur extranéité pour échapper à la loi du recrutement" (Mal Randonds Lar. 19e).

B.− Caractère de ce qui est étranger à quelque chose. "Le mystique ressent, au contraire, l'extériorité, ou plutôt l'extranéité de la « source » des images, des émotions (...) qui lui parviennent par voie intérieure" (Valéry, Variété V,1944, p. 275).

Prononc. et Orth. : [εkstʀaneite]. Cf. extra-. Ds Ac. 1932. Étymol. et Hist. 1. 1619 dr. « qualité d'étranger » (Loix et Coustumes du Pays du Franc, XXXV, Nouveau Coutumier Général, t. 1, p. 606); 2. 1913 p. ext. (P. Valéry, Cahiers, vol. 1, 1161 − Gallimard, 1973 − ds Quem. DDL t. 7). Dér. savant du lat. extraneus « de l'extérieur, étranger » dér. de extra (v. extra-), sans doute par l'intermédiaire du lat. médiév. extraneitas (attesté dans le domaine angl. au xiiies., cf. Latham).


Qui s'en trouve en être affligé, la constate ou s'en découvre soudain frappé, peut basculer du côté de l'Unheimlich, "l'inquiétante étrangeté" de ce qui se présentait jusqu'alors comme familier, qui préside à tous les dérapages: le monde devient alors complètement "faux", et on peut se fixer la mission de le re-rendre "vrai". En rejoignant l'EI par exemple.

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27inqui ... nget%C3%A9

La conversion, ou l'engagement terroriste, et a fortiori l'acte terroirieme même, relève alors de ce qu'on a pu appeler "l'extimité" - on jette son malaise à la face du monde, en mettant à l'extérieur ce qui était intérieur. C'est la panique du secret inavouable, soudain révélé…

"Heimlich a plusieurs significations. C’est d’abord ce qui fait partie de la maison (häuslich), de la famille. Cela concerne l’intimité, une situation tranquille et satisfaisante. Heimlich est aussi synonyme de dissimulation, de secret, de peu sûr ou même de sacré. La pièce heimlich de la maison correspond aux WC, un art heimlich s’apparente à de la magie. Un- est un préfixe antonymique, Unheimlich est le contraire de heimlich, au sens premier comme au sens second. En effet, il peut correspondre à une situation mettant mal à l’aise, qui suscite une angoisse, voire de l'épouvante ; et à un secret divulgué, qui est sorti de l’ombre alors qu’il devait rester confidentiel. En 1959, Lacan inventa le mot 'extimité'. Cette expression donnait l'idée de quelque chose intérieur, appartenant au sujet, et en même temps non pas reconnu en tant que tel – rendant le sujet mal à l’aise et appréhensif."
Où je m'autocite:

"Oui, je pense également qu'ici Peillon s'exprime n'importe comment d'abord parce que l'intellectuel (persistant) en lui sait qu'ici il dit n'importe quoi (car ce n'est pas une analyse, même pas une conception plausible, mais une élucubration vaseuse, confusionniste, électoraliste - qui par ailleurs doit être suffisamment MAL énoncée pour être "convaincante" étant donné le public bas de plafond auquel elle s'adresse). "Son subconscient se révolte", bien dit… ou bien alors, c'est une rhétorique supérieure?

Quand il était ministre, déjà, j'avais constaté sa capacité à énoncer des trucs absolument pas convaincants, d'un air à la fois absolument pas convaincu, et absolument catégorique voire agressif, ce qui signifiait: "bon, vous savez que c'est des conneries et que je suis de mauvaise foi, et moi aussi, mais je vais le faire quand même, parce que ma conception (réfléchie?) de la politique, c'est de passer en force au nom de l'idéologie!…"
Et voilà, c'est réussi! Ce que j'appelais, de la part de Peillon, la "rhétorique supérieure" dont le visée électoraliste est d'abord confusionniste, prouve, ici même, son efficacité.

Peillon parlait de la pseudo-persécution que subiraient/pourraient subir les mususlmans en France, en renvoyant abusivement aux juifs sous l'occupation - et tout le monde tombe dans la panneau, et se met à récapituler, en historiens scrupuleux, ce qui s'est passé il y a 40 ans (n'est-ce pas).
Ce qui, justement et même précisément, n'a aucun rapport avec la situation présente, et surement pas avec la "question musulmane", qui n'est pas du tout la "question juive" chère à Sartre.
Triomphe donc du confusionnisme, quand un peu tout et n'importe quoi, posant de réels et actuels problèmes, est sensé rappeler les plus sombres heures, etc…
C'est toute une pratique rhétorique abusive et délibérément confusionnante, visant généralement la pure expression d'une conviction contre-factuelle, que celle de l'antécédent, c'est à dire celle du "jamais", du "déjà" ou du "toujours"…

EX: "la France a toujours été un pays d'immigration"
EX: "le monde a déjà connu des périodes de réchauffement"
EX: "jamais la justice n'a été aussi sévère"

Dans tous les cas, je crois quon peut répondre: "bon, soit, admettons, mais en fait… non, "not relevant"!" - car en vérité, ces situations historiques sont si distinctes que ça n'a rien à voir! Si "on" veut y faire voir ou affirmer des équivalences, c'est en fait pour justifier un agenda présent, ou excuser une impuissance présente!"