Sur l'affaire Mehdi Meklat:
Viens d'entendre, sur France Culture, la petite chronique du souvent
pertinent Xavier de la Porte (qui parle en général du numérique), sur
l'affaire Mehdi Meklat - en notant au passage que dans la bouche des
journalistes de Radio France, les deux jeunes gens "MehdietBadrou" ont
soudain retrouvé leur nom de famille, prise de distance opportune,
toujours assez mauvais signe pour les intéressés… (on sait que le prénom
seul employé, dans les media, rapproche, "connive", sacralise,
"inoffensise"… mais passons).
La chronique rend assez bien
compte du caractère bizarroïde de l'affaire - à savoir des propos "à la
limite", semi-confidentiels, mais suffisamment accessibles pour qu'on
suppose que l'auteur devait obscurément savoir/vouloir qu'on lui demande
des comptes tôt ou tard, propos qui semblent "dans l'ombre déconstruire
ce qui d'un autre côté était publiquement construit" - d'où "psyché
tourmentée" et "complexité" de M. Meklat. Lecture la plus réaliste,
celle d'une énorme névrose (pour ce que ça veut dire), absolument banale
et déterminée par ailleurs - dont l'équivalent exact serait la figure
du curé ou pasteur respecté dont on découvre les fichiers pédophiles -
ou du père-la-rigueur ponctionnant l'argent public : le
surinvestissement sur de l'angélique et de l'exemplaire ne s'explique
que par un rapport inavouable à l'objet du désir/déni. C'est du banal,
du déterminé, de la névrose.
Celle du jeune homme, assez maousse
pour faire de lui un gros troll (50000 twits! - depuis 2011, pendant 3
ans), me semble assez amusante à supposer. Une "complexité qui nous
échappe"? Balayons tout ça.
Ce jeune homme "exemplaire" de
banlieue, kabyle mais lettré (niveau terminale L, quand même), musulman
mais ouvert et branché, revendicatif mais "républicain" (au sens place
de la Ré), qui est/était surtout l'emblème d'un antiracisme portatif,
facile à pratiquer par les hipsters ("mon pote arabe qui aime la techno
et boit des bières, il est pas sympa?") - ce qui assure le succès et
tient lieu d'absolution - avait créé, dit-il, un personnage de fiction,
un "double maléfique". Voyons.
Pseudo: "Marcellin Deschamps". Sensé être un beauf "blanc", raciste, anti-immigrés, homophobe, etc… Soit, cela semble clair.
Or, par une étrange involution, et en semblant au départ, clamer sa
vision caricaturale de l'"arabe" (voyou, égorgeur, etc…), selon le
principe classique de l'ironie didactique (faire dire ce qu'on ne pense
pas pour en souligner le caractère odieux), "Marcellin Deschamps" peu à
peu, twit après twit, devint en fait le retour de la voix caricaturale
de "l'arabe" caricaturé, renvoyant, depuis un site d'énonciation devenu
illocalisable (puisque chambre d'écho: qui parle, dans ce qui devient le
face à face où se construit l'image-caricature?), à l'idée désastreuse
que l'on se fait de lui. Le mode d'ironie alors change: ce n'est plus
alors de l'ironie didactique à la Voltaire ou Montesquieu, mais de
l'ironie d'auto-accusation, à la Céline, Genet ou à la Nabe, de l'ironie
de provocation abjecte, encore appelé "autocatégorème".
(wikipedia)
"L'autocatégorème (substantif masculin), du grec autos (« le même ») et
katêgoria (« accusation ») est une figure de style qui consiste à
répéter une accusation envers soi délibérée, ou de le feindre, afin de
susciter une dénégation de l'interlocuteur. Le locuteur feint souvent de
reconnaître les défauts ou les vices qu'on lui attribue mais en les
outrant, par une hyperbole généralement de façon telle qu'ils ne
paraissent plus vraisemblables. L'effet visé est avant tout rhétorique,
par un jeu sur le pathos (sur les sentiments de l'interlocuteur).
L'autocatégorème appartient donc à la classe des répétitions visant
l'ironie et l'atténuation. Il est proche du chleuasme et de la
prospoièse."
Et là, le dispositif de Mehdi s'est cassé la figure -
d'abord par manque de moyens littéraires, on est sur twitter! - et par
sous-estimation des affects…
Pour répondre à l'image désastreuse que
"Marcellin Deschamps", le "beauf blanc intolérant", est sensé avoir de
lui, l'"arabe" virtuel lui répond en se conformant à cette image
désastreuse: les twits deviennent DE FAIT homophobes, intolérants, voire
islamistes (menaces d'égorgement…). Il est possible que la
superposition d'une double-ironie (ratée) ait été voulue par Mehdi
Meklat, dans l'idée, assez rebattue, de suggérer que l'intolérance crée
des intolérants; que la peur des uns fait que la réalité, en raison même
du refus d'acceptation, risque de se conformer à ces peurs; que c'est
le bon bourgeois français qui a créé le monstre immigré; bla bla, etc…
Rhétorique gauchiste et victimaire classique, qui ici se voulait
finaude.
Le problème c'est qu'à s'inventer un père fouettard, un
Ubu sadien, on se retrouve soi même sadisé, en posture masochiste, et
voilà que l'on bascule (avec jouissance!) dans le camp de l'abject,
éminemment réversible, et que l'on devient soi-même bourreau ordurier -
et Sade, de tous les auteurs, est celui qui pour qui l'ironie est
vraiment lettre morte… Qui trop crie au loup… devient le loup. Il sera
donc chassé en meute, bien fait. Medhi alors a été avalé par "l'arabe"
de "Marcellin", qu'il désirait être… DOUBLEMENT.
Les
affects, disais-je… On sait ici ma petite passion pour la lettre des
noms. Surtout des noms inventés, comme ici "Marcellin Deschamps"…
Etrange quand même, moi je l'aurais pas trouvé, mais Mehdi l'a… - un peu
de lacanisme de comptoir, pour rire?
Marcellin:
• Raymond
Marcellin: "Ministre de l'intérieur de 1968 à 1974, incarnation du
retour à l'ordre musclé après mai 1968", surnom "Raymond la matraque"
•
St Marcellin: fromage au lait de vache, originaire du Dauphiné —>
"fromage", surnom des français blancs dans les banlieues françaises
• Saint Marcellin: plusieurs saints de ce nom (dont le 29è pape, mort en 304)
"Marcellin":
donc, le "sur-français", représentant d'un ordre réactionnaire
(post-colonial), sur-viril (la matraque!), ancré dans un terroir
repoussant (le fromage coulant), figure haïe mais quand même idéalisée
(il est quand même "saint"!): le croquemitaine Super-Dupont, que l'on
aime à haïr, faute de pouvoir envisager l'égaler. Une image du père que
l'on n'a pas?
"Deschamps":
• d'abord, des champs, c'est à dire
le terroir, la campagne, le village miterrandien avec clocher, tout
l'inverse de la banlieue - qui pourtant, paradoxe, a été bâtie sur "des
champs", et veut faire de la France avec du pas-français. Une image du
lieu que par définition l'on n'habite pas, inhabitable?
• Didier
Deschamps: entraineur blanc d'une équipe de foot noire —> ordre post
colonial! what else? Et, quand ne sélectionnant pas des joueurs
"arabes", accusé par Cantona d'être raciste en ces termes: "Deschamps a
un nom qui sonne bien français. C'est peut-être le seul en France à
avoir un nom aussi français. Personne ne s'est jamais mélangé avec
personne dans sa famille. Comme les Mormons en Amérique. Donc je ne suis
pas surpris qu'il ait profité de la situation de Benzema pour ne pas le
prendre" - déception de ne pas être "pris", quand on le désirait, mais
être "pris" par le blanc et blond Didier, eût-ce été bien honorable?
Voir la suite.
• Belle des Champs: "Tu baguenaudes dans les
pâturages, Tu t'en vas de promener, Belle des Champs, Qu'il est blanc
qu'il est crêmeux ton fromage, Dis donne-nous en un peu, Belle des
Champs, Dis tu nous en donnes, Oh oui donnes nous en, Donne donne donne,
ô Belle Belle des Champs" (1981, pub connue même des jeunes, via
Youtube): la Belle blonde (la république, la France?), le fromage (que
l'on quémande, dont on aimerait manger), mais pour cela il faudrait être
"des champs", comme la belle (Marine Le Pen?) - ou alors prendre la
route buissonnière du "baguenaudage", et, faute de rencontrer la Belle
qui donne du fromage, ETRE la Belle qui fait son fromage… C'est toute la
vie de Mehdi, ça! Et on s'étonne qu'ensuite les twits résonnent
d'insultes homophobes!
Comme le disait son collègue de France
Cul, ce Medhi-là, écartelé entre identité et désidentité, désir d'en
être et dégoût du "fromage", et de pas mal d'autres choses, semble bien
avoir "une psyché tourmentée".
Moins que Dr Jekyll & Mister
Hyde, il semble être à la fois le ver de terre amoureux d'une étoile et
Frankenstein s'opérant lui-même, Lorenzaccio & Richard III surpris
au lit, Jean Genet et Pierre Guyotat en conversation dans un chantier de
ville nouvelle, et l'héautontimorouménos de Baudelaire…
e constate soudain que toute ma lecture lacano-truc se casse la figure, en cela que "Marcellin" était en fait "Marcelin"…!
Il faudrait que je refasse tout mon topo? Non, quand même, car je peux la faire courte.
Ce qui frappe avec "Marcelin", c'est que, par rapport à "Marcellin", il n'en a qu'une.
Un seul L. Une seule aile. Comment peut-il alors voler, comme il le devrait?
Et Marcelin, c'est Marceline. Pas Deschamps, mais Desbordes-Valmore.
Say no more.
La
version "officielle"? Pas si mal: "Marcel Duchamp" est convoqué - par
rapport à quoi "Marcelin" le "pouilleux" minimise (diminutif), mais
"Deschamps" maximise (passage au pluriel): complexe
d'infériorité-supériorité? - c'est bravache en tout cas, et il va finir
par me convaincre!
«Jusqu’en 2015, sous le pseudo "Marcelin
Deschamps", j’incarnais un personnage honteux raciste antisémite
misogyne homophobe sur Twitter. A travers Marcelin Deschamps, je
questionnais la notion d’excès et de provocation. Mais aujourd’hui je
tweete sous ma véritable identité. Les propos de ce personnage fictif
(Marcelin Deschamps) ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont
tout l’inverse. Je m’excuse si ces tweets ont pu choquer certains
d’entre vous : ils sont obsolètes»… «En 2011, j’avais 19 ans. J’ai
rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique.
Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée,
aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps.
Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la
beauté. Sûrement "Marcelin Deschamps" suivrait ce chemin. Mais
rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était
pas "dans la vie réelle", il était sur Twitter. Il se permettait tous
les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion
de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites
? Aucune.»
«Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de
Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs
propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû
exister.»
Un commentateur de Libé (pas moi, je corrige juste l'orthographe affreuse) cependant rappelle:
"Quel
hypocrite et menteur! Ce type aurait, selon lui, pris le pseudo
"Marcellin" pour pasticher un beauf raciste, il se trouve que pas un de
ses tweets sur des milliers ne s'en prend aux cibles habituelles des
racistes: musulmans, noirs, arabes… Au contraire ses tweets s'attaquent
aux laïcs, républicains, pro-charlie, à Charb, Fourest, Badinter… Ils
sont homophobes, misogynes, communautaristes, font l'apologie du
terrorisme. Pour beaucoup moins de petits apprentis haineux ont été
lourdement condamnés."
«S’ils étaient trapézistes, Mehdi M. serait le voltigeur, le bravache
qui s’élance dans les airs, qui part en vrille. Badrou A. serait le
soutier, celui qui tient, qui rattrape, le mûr porteur», peut-on lire
dans le portrait que leur consacrait Libération en 2014.
On va appeler le bravache Mehdi qui part en vrille, "Marcelin", et le solide mur porteur Badrou, "Pierre", ok?
(wikipedia)
"Les saints Marcellin et Pierre (décapités vers 304) sont des martyrs
romains. L’un était prêtre et l’autre exorciste. Ils sont mentionnés
dans la première prière eucharistique de la liturgie latine (dite Canon
Romain). Liturgiquement ils sont commémorés le 2 juin.
Marcellin
était un prêtre éminent de Rome. D’après leur Passio (un texte que les
bollandistes considèrent comme peu fiable) (note de moi: les
bollandistes? faute de frappe?), ils furent arrêtés durant la
persécution de Dioclétien. Marcellin fut d'abord couché nu sur du verre
brisé, tandis que Pierre était entravé par des liens très serrés. En
prison leur zèle obtient la conversion de leur gardien Arthemius, de sa
femme et de sa fille.
Condamnés par le magistrat Severus (note de
moi: mais justus!…) ils furent conduits dans un bois, décapités et
enterrés de telle manière que leur lieu de sépulture reste secret. Le
secret est trahi par le bourreau (qui lui aussi devient chrétien...) et
leurs restes sont exhumés et ensevelis honorablement dans la catacombe
de Saint Tiburce (via Labicana). Le pape Damase (fin du IVe siècle)
témoigna que, encore enfant, il entendit de la bouche même de leur
bourreau le récit de l’exécution de Marcellin et Pierre. Il composa une
épitaphe en leur honneur. À la demande de sa mère Sainte Hélène
l’empereur Constantin construisit une église au-dessus de leur tombeau.
En
827 les reliques des deux saints furent envoyées par Grégoire IV à
Eginhard, secrétaire de Charlemagne, pour le monastère qu’il fonda à
Seligenstadt, près de la ville contemporaine de Francfort (en
Allemagne)."
Je n'ai pas dit que ce texte-ci soit bien écrit, mais on peut proposer une interprétation de ce que dit Reyes.
Pour
elle (comme pour pas mal d'écrivains modernes), la littérature
authentique est le domaine de la "vérité", qui ne se comprend que dans
l'expression d'une singularité extrême, indépendante même des
contingences et des ancrages sociaux (ce en quoi les écrivains modernes
se fourrent le doigt dans l'œil! mais bon…).
A l'inverse, la
"civilisation" moderne est, depuis longtemps (XIXè s.), celle de la
marchandise, et assigne à la littérature entre autres une fonction de
représentation sociale: les livres vont être destinés à un public ciblé,
l'écrivain lui-même va être promu comme un "produit", en cela que le
marché de l'art industriel va lui assigner une place identifiée,
reconnaissable, rassurante… Même pas besoin à ce titre qu'il soit
authentiquement "écrivain" d'ailleurs.
Ici, "Medhi M." était ce
"produit" promu pour public prêt à acheter ce qui était vendu:
"le-vrai-jeune-de banlieue-"mais"-intelligent-branché-intégré-etc". Ce
genre de "produit", parce ses termes forment une sorte d'oxymore
intenable où l'un détruit l'autre, est une construction en trompe l'œil,
qui relève du kitsch… Transformé en tête de gondole creuse, le pauvre
M. ne pouvait que pêter un plomb, d'où "dommage collatéral".
Mais
le fait qu'il ait schizophréniquement twitté sa "part de vérité" ne
fait hélas pas de lui un écrivain, parce que la "vérité" recherchée par
l'écrivain n'est (en théorie) pas de celles que n'importe qui dans la
même situation sociale aurait pu dire (ici, le "double maléfique"
revendiqué était le "jeune-rageux-de-banlieue-qui-dit-du-mal-des-juifs,
etc…", quelle originalité!!). Certes le "produit" n'est alors plus un
pur ersatz, il fait nettement plus "bio"; mais alors, puisqu'il se
conforme pile à ce que l'ancrage social le destinait à dire ou penser,
il sort vraiment de la "littérature" …
Le "kid" Mehdi est grillé
auprès du "bourgeois" parce qu'on a voulu faire de lui un fake, un
produit consommable au nom de la "civilisation", qui n'aime pas qu'il y
ait de l'inconsommable - et que lui-même n'a à la longue pas pu avaler
(soi-comme-produit: l'aliénation, quoi!). C'est l'échec aussi de
l'écrivain en lui, en cela qu'aucune "vérité" singulière ni même de
"complexité" en fait n'a émergé de façon convaincante. C'est maintenant
peut-être qu'il pourrait le devenir, mais c'est pas donné… Après un tel
livre, pardon, de tels tweets," il ne reste plus à l'auteur qu'à
choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix", disait
Barbey d'Aurevilly de Huysmans, après "A Rebours". Si on était vache
envers Mehdi, on pourrait dire qu'il lui reste le choix entre Alain
Soral et les frères musulmans.
Pour clore (pour ce qui me concerne) ces ratiocinations sur le pauvre
Mehdi, dont le cas, vous l'avez vu, m'intéressait depuis des années
(mais que vais-je faire de mon temps ? - et son ami Badrou, alors, que
sont au juste ses idées à lui, personne ne lui demande, c'est à croire
que, parce qu'il n'est pas "arabe", mais juste noir, c'est tout à fait
secondaire… (sans doute vrai socio-culturellement parlant, l'enjeu est
moindre pour l'instant)…
Le meilleur article-fleuve (d'autant que
ça coïncide avec mes analyses modestes de ci-dessus) est de Claude
Askolovitch, qui a conseillé Medhi M. dans cette passe difficile, qui
l'a vu rejeter ses conseils. Ici il nous raconte le gars en "insider",
et conclut assez brillamment sur tout ça - faut dire qu'Asko avait
conseillé et accompagné DSK, il s'y connaît donc en auto-destructions
spectaculaires! :
http://www.slate.fr/story/138005/mehdi- ... -immondice
"Mehdi
Meklat porte les stigmates de la haine. Lynché par les uns, lâché par
les autres, il a été digéré. On vient de vivre une histoire sordide. Je
m’en suis mêlé, moi qui ne l’avais jamais rencontré.
J’ai parlé à
Mehdi Meklat hier soir. Il était épuisé. Il savait ce qu’ils avaient
fait – jadis, en s’autorisant, et maintenant, en fuyant ce qui le
terrifiait. «Vous allez mûrir autrement», lui ai-je-dit, et il a
acquiescé. Il avait eu tant de pression, pour que cela s’arrête. Nous
nous étions parlé une première fois dans la matinée. Il hésitait encore.
Il allait écrire, s’expliquer, et se donnait une latitude. «Je dois
prendre mon temps, bien y penser, me disait-il. C’est un texte qui va
compter dans mon existence.» Il parlait à mots menus. C’est un péché
courant chez les écrivains de croire que l’écriture les sauvera de leurs
destructions. Meklat avait écrit une première version de sa contrition.
Elle était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses
reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être
mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des
risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous
ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la
partager…» (…) Il semblait d’accord? Je me trompais. L’après-midi, il
confirmerait, sur Facebook, sa version de la comédie reniée. Il se
roulait par terre. (…) J’avais l’impression, à lire, d’une trahison,
d’une exécution. Mehdi assassinait un vieux copain affreux, déconneur,
sans limite, avec qui il s’était bien marré, avant, mais qui le
comprenait; il tuait une partie de lui-même. Il effaçait ce qui, ce
qu’il avait été. C’est ainsi que l’on fabrique des fantômes. Il
reviendrait le hanter? "
"La nuit précédente, 50.000 tweets
avaient été effacé de son compte Twitter: tous ceux qui avaient été
postés sous le nom de Deschamps. «J’avais pensé le faire il y a des
mois, quand j'avais changé le nom de mon compte, pour poster sous mon
nom. Mais j’avais fait une fausse manip, et les tweets étaient restés»,
m’avait-il dit. Ils étaient restés assez longtemps pour qu’on les
recopie, et qu’on les lui projette à la figure, pour le détruire. Acte
manqué? Volonté inconsciente de laisser des traces, des preuves, pour
qu’un jour, au moment où cela serait le plus brutal, la vague se lève et
le punisse? Meklat voulait être puni? C’est arrivé, exactement."
"Dissociation
ou logique. Choisir ses cibles. Être vengeur. Dire sa vérité honteuse.
Ou se suicider. Ou s’interdire la tranquillité. S’accomplir, ou se nier.
Ou tout cela à la fois. Être vrai, en se niant. (…) Dans l’ombre,
Marcelin Deschamps attendait son heure. Il avait été inventé pour cela,
parions-nous. Tweet après tweet, toutes ces années, Mehdi Meklat avait
accompli sa pulsion de mort freudienne: l’instrument de sa destruction
salutaire, quand il faudrait se punir d’être allé au bout. Alors, le
châtiment jaillirait. Voilà ce que je suis, voilà ce que vous admirez,
beuglerait Marcelin aux amants de Mehdi."
(je pensais ne plus m'intéresser à ce cas, mais ce que vous dites est intéressant)
Encore
une lecture politique, qui n'est pas seulement celle des "jeux
radicaux" des jeunes, mais plutôt de l'ordre de la "vraie" radicalité, à
la Fanon ou à la Sartre: c'est le devoir de décevoir (les
ex-colonisateurs), qui s'impose politiquement (aux post-colonisés), ne
serait-ce que par refus du paternalisme… "Votre déception, c'est notre
émancipation, parce que votre satisfaction, c'est notre prison", etc…
https://twitter.com/samdemange01/status ... 40/photo/1
Bon,
c'est les "Indigènes de la République", cette lecture - que je pense
partiellement vraie, parce qu'elle est psychologiquement plausible -
même si ça me semble sans issue, parce que saboter les attentes (trop)
bienveillantes, c'est toujours marquer la dépendance vis à vis de
papa-maman…
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