mercredi 22 février 2017

Sur l'affaire Mehdi Meklat:

Viens d'entendre, sur France Culture, la petite chronique du souvent pertinent Xavier de la Porte (qui parle en général du numérique), sur l'affaire Mehdi Meklat - en notant au passage que dans la bouche des journalistes de Radio France, les deux jeunes gens "MehdietBadrou" ont soudain retrouvé leur nom de famille, prise de distance opportune, toujours assez mauvais signe pour les intéressés… (on sait que le prénom seul employé, dans les media, rapproche, "connive", sacralise, "inoffensise"… mais passons).

La chronique rend assez bien compte du caractère bizarroïde de l'affaire - à savoir des propos "à la limite", semi-confidentiels, mais suffisamment accessibles pour qu'on suppose que l'auteur devait obscurément savoir/vouloir qu'on lui demande des comptes tôt ou tard, propos qui semblent "dans l'ombre déconstruire ce qui d'un autre côté était publiquement construit" - d'où "psyché tourmentée" et "complexité" de M. Meklat. Lecture la plus réaliste, celle d'une énorme névrose (pour ce que ça veut dire), absolument banale et déterminée par ailleurs - dont l'équivalent exact serait la figure du curé ou pasteur respecté dont on découvre les fichiers pédophiles - ou du père-la-rigueur ponctionnant l'argent public : le surinvestissement sur de l'angélique et de l'exemplaire ne s'explique que par un rapport inavouable à l'objet du désir/déni. C'est du banal, du déterminé, de la névrose.

Celle du jeune homme, assez maousse pour faire de lui un gros troll (50000 twits! - depuis 2011, pendant 3 ans), me semble assez amusante à supposer. Une "complexité qui nous échappe"? Balayons tout ça.

Ce jeune homme "exemplaire" de banlieue, kabyle mais lettré (niveau terminale L, quand même), musulman mais ouvert et branché, revendicatif mais "républicain" (au sens place de la Ré), qui est/était surtout l'emblème d'un antiracisme portatif, facile à pratiquer par les hipsters ("mon pote arabe qui aime la techno et boit des bières, il est pas sympa?") - ce qui assure le succès et tient lieu d'absolution - avait créé, dit-il, un personnage de fiction, un "double maléfique". Voyons.

Pseudo: "Marcellin Deschamps". Sensé être un beauf "blanc", raciste, anti-immigrés, homophobe, etc… Soit, cela semble clair.
Or, par une étrange involution, et en semblant au départ, clamer sa vision caricaturale de l'"arabe" (voyou, égorgeur, etc…), selon le principe classique de l'ironie didactique (faire dire ce qu'on ne pense pas pour en souligner le caractère odieux), "Marcellin Deschamps" peu à peu, twit après twit, devint en fait le retour de la voix caricaturale de "l'arabe" caricaturé, renvoyant, depuis un site d'énonciation devenu illocalisable (puisque chambre d'écho: qui parle, dans ce qui devient le face à face où se construit l'image-caricature?), à l'idée désastreuse que l'on se fait de lui. Le mode d'ironie alors change: ce n'est plus alors de l'ironie didactique à la Voltaire ou Montesquieu, mais de l'ironie d'auto-accusation, à la Céline, Genet ou à la Nabe, de l'ironie de provocation abjecte, encore appelé "autocatégorème".

(wikipedia) "L'autocatégorème (substantif masculin), du grec autos (« le même ») et katêgoria (« accusation ») est une figure de style qui consiste à répéter une accusation envers soi délibérée, ou de le feindre, afin de susciter une dénégation de l'interlocuteur. Le locuteur feint souvent de reconnaître les défauts ou les vices qu'on lui attribue mais en les outrant, par une hyperbole généralement de façon telle qu'ils ne paraissent plus vraisemblables. L'effet visé est avant tout rhétorique, par un jeu sur le pathos (sur les sentiments de l'interlocuteur). L'autocatégorème appartient donc à la classe des répétitions visant l'ironie et l'atténuation. Il est proche du chleuasme et de la prospoièse."

Et là, le dispositif de Mehdi s'est cassé la figure - d'abord par manque de moyens littéraires, on est sur twitter! - et par sous-estimation des affects…
Pour répondre à l'image désastreuse que "Marcellin Deschamps", le "beauf blanc intolérant", est sensé avoir de lui, l'"arabe" virtuel lui répond en se conformant à cette image désastreuse: les twits deviennent DE FAIT homophobes, intolérants, voire islamistes (menaces d'égorgement…). Il est possible que la superposition d'une double-ironie (ratée) ait été voulue par Mehdi Meklat, dans l'idée, assez rebattue, de suggérer que l'intolérance crée des intolérants; que la peur des uns fait que la réalité, en raison même du refus d'acceptation, risque de se conformer à ces peurs; que c'est le bon bourgeois français qui a créé le monstre immigré; bla bla, etc… Rhétorique gauchiste et victimaire classique, qui ici se voulait finaude.

Le problème c'est qu'à s'inventer un père fouettard, un Ubu sadien, on se retrouve soi même sadisé, en posture masochiste, et voilà que l'on bascule (avec jouissance!) dans le camp de l'abject, éminemment réversible, et que l'on devient soi-même bourreau ordurier - et Sade, de tous les auteurs, est celui qui pour qui l'ironie est vraiment lettre morte… Qui trop crie au loup… devient le loup. Il sera donc chassé en meute, bien fait. Medhi alors a été avalé par "l'arabe" de "Marcellin", qu'il désirait être… DOUBLEMENT.


Les affects, disais-je… On sait ici ma petite passion pour la lettre des noms. Surtout des noms inventés, comme ici "Marcellin Deschamps"… Etrange quand même, moi je l'aurais pas trouvé, mais Mehdi l'a… - un peu de lacanisme de comptoir, pour rire?

Marcellin:
• Raymond Marcellin: "Ministre de l'intérieur de 1968 à 1974, incarnation du retour à l'ordre musclé après mai 1968", surnom "Raymond la matraque"
• St Marcellin: fromage au lait de vache, originaire du Dauphiné —> "fromage", surnom des français blancs dans les banlieues françaises
• Saint Marcellin: plusieurs saints de ce nom (dont le 29è pape, mort en 304)

"Marcellin": donc, le "sur-français", représentant d'un ordre réactionnaire (post-colonial), sur-viril (la matraque!), ancré dans un terroir repoussant (le fromage coulant), figure haïe mais quand même idéalisée (il est quand même "saint"!): le croquemitaine Super-Dupont, que l'on aime à haïr, faute de pouvoir envisager l'égaler. Une image du père que l'on n'a pas?

"Deschamps":
• d'abord, des champs, c'est à dire le terroir, la campagne, le village miterrandien avec clocher, tout l'inverse de la banlieue - qui pourtant, paradoxe, a été bâtie sur "des champs", et veut faire de la France avec du pas-français. Une image du lieu que par définition l'on n'habite pas, inhabitable?
• Didier Deschamps: entraineur blanc d'une équipe de foot noire —> ordre post colonial! what else? Et, quand ne sélectionnant pas des joueurs "arabes", accusé par Cantona d'être raciste en ces termes: "Deschamps a un nom qui sonne bien français. C'est peut-être le seul en France à avoir un nom aussi français. Personne ne s'est jamais mélangé avec personne dans sa famille. Comme les Mormons en Amérique. Donc je ne suis pas surpris qu'il ait profité de la situation de Benzema pour ne pas le prendre" - déception de ne pas être "pris", quand on le désirait, mais être "pris" par le blanc et blond Didier, eût-ce été bien honorable? Voir la suite.
• Belle des Champs: "Tu baguenaudes dans les pâturages, Tu t'en vas de promener, Belle des Champs, Qu'il est blanc qu'il est crêmeux ton fromage, Dis donne-nous en un peu, Belle des Champs, Dis tu nous en donnes, Oh oui donnes nous en, Donne donne donne, ô Belle Belle des Champs" (1981, pub connue même des jeunes, via Youtube): la Belle blonde (la république, la France?), le fromage (que l'on quémande, dont on aimerait manger), mais pour cela il faudrait être "des champs", comme la belle (Marine Le Pen?) - ou alors prendre la route buissonnière du "baguenaudage", et, faute de rencontrer la Belle qui donne du fromage, ETRE la Belle qui fait son fromage… C'est toute la vie de Mehdi, ça! Et on s'étonne qu'ensuite les twits résonnent d'insultes homophobes!

Comme le disait son collègue de France Cul, ce Medhi-là, écartelé entre identité et désidentité, désir d'en être et dégoût du "fromage", et de pas mal d'autres choses, semble bien avoir "une psyché tourmentée".
Moins que Dr Jekyll & Mister Hyde, il semble être à la fois le ver de terre amoureux d'une étoile et Frankenstein s'opérant lui-même, Lorenzaccio & Richard III surpris au lit, Jean Genet et Pierre Guyotat en conversation dans un chantier de ville nouvelle, et l'héautontimorouménos de Baudelaire…

e constate soudain que toute ma lecture lacano-truc se casse la figure, en cela que "Marcellin" était en fait "Marcelin"…!

Il faudrait que je refasse tout mon topo? Non, quand même, car je peux la faire courte.

Ce qui frappe avec "Marcelin", c'est que, par rapport à "Marcellin", il n'en a qu'une.
Un seul L. Une seule aile. Comment peut-il alors voler, comme il le devrait?
Et Marcelin, c'est Marceline. Pas Deschamps, mais Desbordes-Valmore.
Say no more.


La version "officielle"? Pas si mal: "Marcel Duchamp" est convoqué - par rapport à quoi "Marcelin" le "pouilleux" minimise (diminutif), mais "Deschamps" maximise (passage au pluriel): complexe d'infériorité-supériorité? - c'est bravache en tout cas, et il va finir par me convaincre!

«Jusqu’en 2015, sous le pseudo "Marcelin Deschamps", j’incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter. A travers Marcelin Deschamps, je questionnais la notion d’excès et de provocation. Mais aujourd’hui je tweete sous ma véritable identité. Les propos de ce personnage fictif (Marcelin Deschamps) ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l’inverse. Je m’excuse si ces tweets ont pu choquer certains d’entre vous : ils sont obsolètes»… «En 2011, j’avais 19 ans. J’ai rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la beauté. Sûrement "Marcelin Deschamps" suivrait ce chemin. Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas "dans la vie réelle", il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites ? Aucune.»
«Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister.»

Un commentateur de Libé (pas moi, je corrige juste l'orthographe affreuse) cependant rappelle:

"Quel hypocrite et menteur! Ce type aurait, selon lui, pris le pseudo "Marcellin" pour pasticher un beauf raciste, il se trouve que pas un de ses tweets sur des milliers ne s'en prend aux cibles habituelles des racistes: musulmans, noirs, arabes… Au contraire ses tweets s'attaquent aux laïcs, républicains, pro-charlie, à Charb, Fourest, Badinter… Ils sont homophobes, misogynes, communautaristes, font l'apologie du terrorisme. Pour beaucoup moins de petits apprentis haineux ont été lourdement condamnés."

«S’ils étaient trapézistes, Mehdi M. serait le voltigeur, le bravache qui s’élance dans les airs, qui part en vrille. Badrou A. serait le soutier, celui qui tient, qui rattrape, le mûr porteur», peut-on lire dans le portrait que leur consacrait Libération en 2014.

On va appeler le bravache Mehdi qui part en vrille, "Marcelin", et le solide mur porteur Badrou, "Pierre", ok?

(wikipedia) "Les saints Marcellin et Pierre (décapités vers 304) sont des martyrs romains. L’un était prêtre et l’autre exorciste. Ils sont mentionnés dans la première prière eucharistique de la liturgie latine (dite Canon Romain). Liturgiquement ils sont commémorés le 2 juin.
Marcellin était un prêtre éminent de Rome. D’après leur Passio (un texte que les bollandistes considèrent comme peu fiable) (note de moi: les bollandistes? faute de frappe?), ils furent arrêtés durant la persécution de Dioclétien. Marcellin fut d'abord couché nu sur du verre brisé, tandis que Pierre était entravé par des liens très serrés. En prison leur zèle obtient la conversion de leur gardien Arthemius, de sa femme et de sa fille.
Condamnés par le magistrat Severus (note de moi: mais justus!…) ils furent conduits dans un bois, décapités et enterrés de telle manière que leur lieu de sépulture reste secret. Le secret est trahi par le bourreau (qui lui aussi devient chrétien...) et leurs restes sont exhumés et ensevelis honorablement dans la catacombe de Saint Tiburce (via Labicana). Le pape Damase (fin du IVe siècle) témoigna que, encore enfant, il entendit de la bouche même de leur bourreau le récit de l’exécution de Marcellin et Pierre. Il composa une épitaphe en leur honneur. À la demande de sa mère Sainte Hélène l’empereur Constantin construisit une église au-dessus de leur tombeau.
En 827 les reliques des deux saints furent envoyées par Grégoire IV à Eginhard, secrétaire de Charlemagne, pour le monastère qu’il fonda à Seligenstadt, près de la ville contemporaine de Francfort (en Allemagne)."

Je n'ai pas dit que ce texte-ci soit bien écrit, mais on peut proposer une interprétation de ce que dit Reyes.

Pour elle (comme pour pas mal d'écrivains modernes), la littérature authentique est le domaine de la "vérité", qui ne se comprend que dans l'expression d'une singularité extrême, indépendante même des contingences et des ancrages sociaux (ce en quoi les écrivains modernes se fourrent le doigt dans l'œil! mais bon…).

A l'inverse, la "civilisation" moderne est, depuis longtemps (XIXè s.), celle de la marchandise, et assigne à la littérature entre autres une fonction de représentation sociale: les livres vont être destinés à un public ciblé, l'écrivain lui-même va être promu comme un "produit", en cela que le marché de l'art industriel va lui assigner une place identifiée, reconnaissable, rassurante… Même pas besoin à ce titre qu'il soit authentiquement "écrivain" d'ailleurs.

Ici, "Medhi M." était ce "produit" promu pour public prêt à acheter ce qui était vendu: "le-vrai-jeune-de banlieue-"mais"-intelligent-branché-intégré-etc". Ce genre de "produit", parce ses termes forment une sorte d'oxymore intenable où l'un détruit l'autre, est une construction en trompe l'œil, qui relève du kitsch… Transformé en tête de gondole creuse, le pauvre M. ne pouvait que pêter un plomb, d'où "dommage collatéral".

Mais le fait qu'il ait schizophréniquement twitté sa "part de vérité" ne fait hélas pas de lui un écrivain, parce que la "vérité" recherchée par l'écrivain n'est (en théorie) pas de celles que n'importe qui dans la même situation sociale aurait pu dire (ici, le "double maléfique" revendiqué était le "jeune-rageux-de-banlieue-qui-dit-du-mal-des-juifs, etc…", quelle originalité!!). Certes le "produit" n'est alors plus un pur ersatz, il fait nettement plus "bio"; mais alors, puisqu'il se conforme pile à ce que l'ancrage social le destinait à dire ou penser, il sort vraiment de la "littérature" …

Le "kid" Mehdi est grillé auprès du "bourgeois" parce qu'on a voulu faire de lui un fake, un produit consommable au nom de la "civilisation", qui n'aime pas qu'il y ait de l'inconsommable - et que lui-même n'a à la longue pas pu avaler (soi-comme-produit: l'aliénation, quoi!). C'est l'échec aussi de l'écrivain en lui, en cela qu'aucune "vérité" singulière ni même de "complexité" en fait n'a émergé de façon convaincante. C'est maintenant peut-être qu'il pourrait le devenir, mais c'est pas donné… Après un tel livre, pardon, de tels tweets," il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix", disait Barbey d'Aurevilly de Huysmans, après "A Rebours". Si on était vache envers Mehdi, on pourrait dire qu'il lui reste le choix entre Alain Soral et les frères musulmans.


Pour clore (pour ce qui me concerne) ces ratiocinations sur le pauvre Mehdi, dont le cas, vous l'avez vu, m'intéressait depuis des années (mais que vais-je faire de mon temps ? - et son ami Badrou, alors, que sont au juste ses idées à lui, personne ne lui demande, c'est à croire que, parce qu'il n'est pas "arabe", mais juste noir, c'est tout à fait secondaire… (sans doute vrai socio-culturellement parlant, l'enjeu est moindre pour l'instant)…

Le meilleur article-fleuve (d'autant que ça coïncide avec mes analyses modestes de ci-dessus) est de Claude Askolovitch, qui a conseillé Medhi M. dans cette passe difficile, qui l'a vu rejeter ses conseils. Ici il nous raconte le gars en "insider", et conclut assez brillamment sur tout ça - faut dire qu'Asko avait conseillé et accompagné DSK, il s'y connaît donc en auto-destructions spectaculaires! :

http://www.slate.fr/story/138005/mehdi- ... -immondice



"Mehdi Meklat porte les stigmates de la haine. Lynché par les uns, lâché par les autres, il a été digéré. On vient de vivre une histoire sordide. Je m’en suis mêlé, moi qui ne l’avais jamais rencontré.
J’ai parlé à Mehdi Meklat hier soir. Il était épuisé. Il savait ce qu’ils avaient fait – jadis, en s’autorisant, et maintenant, en fuyant ce qui le terrifiait. «Vous allez mûrir autrement», lui ai-je-dit, et il a acquiescé. Il avait eu tant de pression, pour que cela s’arrête. Nous nous étions parlé une première fois dans la matinée. Il hésitait encore. Il allait écrire, s’expliquer, et se donnait une latitude. «Je dois prendre mon temps, bien y penser, me disait-il. C’est un texte qui va compter dans mon existence.» Il parlait à mots menus. C’est un péché courant chez les écrivains de croire que l’écriture les sauvera de leurs destructions. Meklat avait écrit une première version de sa contrition. Elle était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la partager…» (…) Il semblait d’accord? Je me trompais. L’après-midi, il confirmerait, sur Facebook, sa version de la comédie reniée. Il se roulait par terre. (…) J’avais l’impression, à lire, d’une trahison, d’une exécution. Mehdi assassinait un vieux copain affreux, déconneur, sans limite, avec qui il s’était bien marré, avant, mais qui le comprenait; il tuait une partie de lui-même. Il effaçait ce qui, ce qu’il avait été. C’est ainsi que l’on fabrique des fantômes. Il reviendrait le hanter? "

"La nuit précédente, 50.000 tweets avaient été effacé de son compte Twitter: tous ceux qui avaient été postés sous le nom de Deschamps. «J’avais pensé le faire il y a des mois, quand j'avais changé le nom de mon compte, pour poster sous mon nom. Mais j’avais fait une fausse manip, et les tweets étaient restés», m’avait-il dit. Ils étaient restés assez longtemps pour qu’on les recopie, et qu’on les lui projette à la figure, pour le détruire. Acte manqué? Volonté inconsciente de laisser des traces, des preuves, pour qu’un jour, au moment où cela serait le plus brutal, la vague se lève et le punisse? Meklat voulait être puni? C’est arrivé, exactement."

"Dissociation ou logique. Choisir ses cibles. Être vengeur. Dire sa vérité honteuse. Ou se suicider. Ou s’interdire la tranquillité. S’accomplir, ou se nier. Ou tout cela à la fois. Être vrai, en se niant. (…) Dans l’ombre, Marcelin Deschamps attendait son heure. Il avait été inventé pour cela, parions-nous. Tweet après tweet, toutes ces années, Mehdi Meklat avait accompli sa pulsion de mort freudienne: l’instrument de sa destruction salutaire, quand il faudrait se punir d’être allé au bout. Alors, le châtiment jaillirait. Voilà ce que je suis, voilà ce que vous admirez, beuglerait Marcelin aux amants de Mehdi."

(je pensais ne plus m'intéresser à ce cas, mais ce que vous dites est intéressant)

Encore une lecture politique, qui n'est pas seulement celle des "jeux radicaux" des jeunes, mais plutôt de l'ordre de la "vraie" radicalité, à la Fanon ou à la Sartre: c'est le devoir de décevoir (les ex-colonisateurs), qui s'impose politiquement (aux post-colonisés), ne serait-ce que par refus du paternalisme… "Votre déception, c'est notre émancipation, parce que votre satisfaction, c'est notre prison", etc…

https://twitter.com/samdemange01/status ... 40/photo/1

Bon, c'est les "Indigènes de la République", cette lecture - que je pense partiellement vraie, parce qu'elle est psychologiquement plausible - même si ça me semble sans issue, parce que saboter les attentes (trop) bienveillantes, c'est toujours marquer la dépendance vis à vis de papa-maman…

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