Lu ceci: de bonnes pages, sur la fin, synthétique, surtout:
François Noudelmann, Le Génie du Mensonge, 2015 (crit Phimag, Catherine Portevin)
Les philosophes, qui aiment la Vérité, seraient-ils en réalité des menteurs ?
Géniaux ou honteux, créatifs ou rusés, mais tout de même des
affabulateurs ? C’est la question provocante que pose François
Noudelmann, sans une once de malice. Il part de son étonnement « sans doute naïf »
à voir combien la vie de ses pairs philosophes est parfois en
contradiction radicale avec leur doctrine. Le constat est tout bête,
certes, et peut s’appliquer à tout un chacun, mais il gêne ou agace
d’autant plus chez les philosophes qu’ils ont, par profession, le verbe
haut et les idées élevées. Plus béant, donc, semble l’écart. Tel penseur
de l’amour est un pingre, tel chantre de l’hédonisme un triste sire,
Rousseau, qui écrit un fameux traité d’éducation, a abandonné ses cinq
enfants, Sartre, philosophe de l’engagement, a vécu la guerre en
planqué, Foucault prononce son cours sur « Le courage de la vérité » en
dissimulant soigneusement être atteint du sida, Deleuze théorise le
nomadisme mais déteste voyager et, tandis que le féminisme naissant se
nourrit du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, celle-ci écrit des lettres brûlantes à son amant Nelson Algren où elle se rêve en femme soumise…
Il
arrive qu’un auteur ne ressemble pas à ce qu’il écrit, peut-être même
n’écrit-on jamais qu’à partir de ce qu’on n’est pas. Que faire de ce
constat ? On peut en tirer une trop hâtive conclusion – en disqualifiant
l’œuvre par la biographie. Ou bien le balayer avec dédain, comme s’il
risquait d’attenter à la noblesse des idées. François Noudelmann, lui,
prend le lieu commun au sérieux et la philosophie à revers en faisant,
non de la Vérité, mais du mensonge un problème philosophique. Et c’est
là que Le Génie du mensonge décolle et mène loin.
Il ne s’agit pas de jeter l’Émile au feu et le prof au
milieu, d’invalider tout l’existentialisme de Sartre, encore moins de
jeter le doute sur les fondements mêmes du féminisme. Ne s’appuyant que
sur des philosophes qu’il admire (Rousseau, Sartre, Foucault, Beauvoir,
Levinas, Derrida, Kierkegaard, Nietzsche…), il suspend tout jugement
moral pour regarder méthodiquement comment ça marche ce « mensonge à soi-même », ce « mentir-vrai »
qu’Aragon reconnaissait aux poètes et que l’on est si surpris de
trouver chez les amoureux de la raison. Que disent ces écarts entre la
théorie et la vie de l’activité de penser elle-même : « Qui sommes-nous lorsque nous pensons ? »
En
usant des ressorts de la psychanalyse, c’est dans les œuvres même des
penseurs-menteurs que Noudelmann détecte le chemin tortueux que prend la
recherche de la vérité : fétichisme des concepts, personnalités
multiples, « libido affirmandi » (le « désir d’affirmer »)
– piège névrotique typique de l’activité philosophique ! Il touche ainsi
un point souvent aveugle chez les philosophes : la relation à soi-même,
et au monde, qu’engage ce goût particulier pour l’abstraction des
concepts. Ce n’est pas seulement que les philosophes seraient des
menteurs, c’est leur activité même qui consiste, si l’on ose dire, à
créer des vérités comme on crée des fictions. Si François Noudelmann
désenchante ainsi la philosophie de sa croyance en l’exercice de la
raison ou de ses rêves de « vérité nue », c’est pour inviter à la lire autrement, sensiblement, comme une affaire humaine, « trop humaine »,
dirait Nietzsche, qui se saisit autant dans ses chuchotements que dans
ses proclamations magistrales. Lui qui naguère observait la relation des
philosophes à la musique (dans Le Toucher des philosophes. Sartre, Nietzsche et Barthes au piano,
paru chez Gallimard en 2008) ouvre ici à une écoute musicale de la
philosophie. Comprendre une pensée, c’est d’abord savoir entendre une
voix.
mardi 14 mars 2017
jeudi 9 mars 2017
mercredi 1 mars 2017
Cette page de la cinémathèque française m'explique assez bien en quoi les (affreux) films de Jesse Franco constituent une séduisante (pour moi) borne de quasi non-retour, antidote à l'épuisante inutilité narrative du cinéma:
Absolument contemporain de ce que l’on a appelé le cinéma moderne, Jess Franco n’a pas suivi la voie des meilleurs de sa génération, attachés à en finir avec le classicisme, à renouveler les formes et à recourir à diverses techniques de distanciation. En empruntant un chemin a priori diamétralement opposé de celui-ci, il n’en a pas moins mené une entreprise de déconstruction aussi radicale que celle d’un Godard. Car lorsque Franco commence à réaliser des films, toutes les histoires ont déjà été racontées par le cinéma. Son érudition cinéphilique (une constante de sa génération) constitue l’arrière-boutique intellectuelle d’une œuvre où, désormais, les mythologies des genres ne sont plus que des figures de rhétorique que le cinéaste met à nu. La beauté de son adaptation « fidèle » du Dracula de Bram Stocker (El Conde Dracula/Les Nuits de Dracula en 1969) réside justement dans ce dépouillement lyrique. Que reste-t-il alors ? L’émotion, la poésie, la pulsion à l’état chimiquement pur. Franco a enchaîné des films à petit budget, d’autant plus fascinants qu’ils semblaient ne plus rien raconter du tout.
L’œuvre de Jess Franco n’a été longtemps possible que parce qu’il existait des salles de quartiers. C’est à cette particularité de l’exploitation, à une époque où la consommation populaire du cinéma se repaissait de doubles programmes promettant de l’érotisme, de la terreur et de la violence, que l’on doit l’existence et l’évolution du cinéma de l’auteur de Gritos en la noche. C’est la logique de flux (deux nouveaux films chaque semaine) de ce que l’on appelle le cinéma-bis, les exigences de l’exploitation populaire, qui ont rendu possible l’art de Jess Franco et, paradoxalement, l’ont libéré de toute entrave.
S’ensuivit une série de titres sacrifiant superficiellement aux règles des genres, incroyablement stylés, dialoguant subrepticement autant avec les nouvelles vagues qu’avec la tradition de la série B hollywoodienne, comme La Muerte silba un blues/077 Opération Jamaïque en 1961, Rififi en la ciudad/Chasse à la mafia en 1963, Miss Muerte/Dans les griffes du Maniaque en 1965, Cartas bocas arriba/Cartes sur table en 1966. La Muerte silba un blues et Rififi en la ciudad le font remarquer d’Orson Welles, qui lui confie la direction de la seconde équipe de Chimes at midnight/Falstaff. Nul doute que l’auteur de Citizen Kane n’ait reconnu une sorte de petit cousin dans la personnalité et l’œuvre de Franco, sa manière de perdre le spectateur dans le labyrinthe de ses propres pulsions. Sa rencontre avec le producteur allemand Adrian Hoven est l’occasion pour Franco de se libérer davantage des conventions. Necronomicon, en 1967, est remarqué au festival de Berlin par Fritz Lang lui-même. Fausse œuvre-pop, fonctionnant par association d’idées, déployant à partir d’une intrigue minimale un champ ouvert sur un infini de sensations inédites, payant une dette autant à la bande dessinée et au roman-photo érotiques qu’à la poésie surréaliste, Necronomicon sera suivi de deux faux films d’aventures et d’espionnage, Kiss Me Monster et surtout Sadisterotica, où le cinéaste prend toute latitude par rapport à ses propres références et il livre une métaphore sur sa propre activité. Après le refus d’une proposition de travailler à Hollywood, la carrière de Franco va se découper en périodes correspondant aux années de travail avec des producteurs européens spécialisés dans le film à petit budget et spéculant sur les diverses libéralisations des censures, ouvrant la voie à un érotisme cinématographique de plus en plus décomplexé : l’Anglais Harry Alan Towers, les Français Robert De Nesle ou Marius Lesœur, le Suisse Edwin C. Dietrich. Chaque période paraît superficiellement marquée par un style particulier, pourtant le cinéma de Franco va demeurer fidèle à des obsessions que le cinéaste ne cesse de travailler, de creuser, de déployer, de ressasser.
A cet égard, montrer près de soixante-dix films est sans doute une forme de pari. Il s’agira de voir cette rétrospective comme un voyage, un trip, une expérience hallucinogène à laquelle le spectateur devra se prêter. L’usage compulsif du zoom qui lui a souvent été reproché est une manière, entre autre chose, de refuser tout centre, tout punctum, à une image qui régulièrement s’abîme dans le flou, et surtout se brûle elle-même dans la vision onaniste de scènes de lesbianisme languides ou de masturbation féminine. Le cinéma de l’auteur de Doriana Gray se réduira, de plus en plus, à de longues plongées mélodiques sur des corps de femmes tordus par le plaisir. Le zoom devient une érection visuelle tendue vers le sexe féminin. La vulve est l’Eldorado de l’artiste érotomane qui construit une œuvre entièrement déterminée par la volonté de voir l’indicible. Jess Franco fait penser à ces jazzmen acharnés à répéter le même standard et qui, à force de le jouer, en ont fait disparaître progressivement les lignes mélodiques pour n’en retenir qu’une essence en forme d’absolu.
Jean-François Rauger
Fragments d’une filmographie impossible
« Une bibliothèque n’est pas complète sans les œuvres du Marquis de Sade »Jess Franco a réalisé près de deux cents films, un exploit que l’on pensait appartenir à une histoire révolue du cinéma et réservé à la génération des fabricants de séries B de l’âge d’or hollywoodien. Comme, disons, Allan Dwan ou Sam Newfield, pas à un cinéaste contemporain de ce que l’on a appelé la modernité cinématographique. La frénésie de tournage dont fait preuve Franco (il signera plus de 10 films en 1973, par exemple) et surtout les conditions mêmes dans lesquels il travaillait, ont véritablement bouleversé le statut de l’œuvre cinématographique tel qu’il s’était institué au moment « moderne » du cinéma, celui de l’affirmation de la toute-puissance symbolique de « l’auteur ». Ses films ont souvent plusieurs titres, existent en versions différentes, plus ou moins corsées selon les pays, en versions « habillées » ou « déshabillées », avec ou sans inserts érotiques ou pornographiques quelquefois montés directement sur la copie d’exploitation. D’un pays à l’autre parfois, le récit change par la grâce d’un nouveau montage et d’une autre postsynchronisation (Al otro lado del espejo/Le Miroir obscène), le genre aussi (entre Los Amantes de la Isla del Diablo et Quartier de femmes, il y a la distance qui sépare un mélodrame d’un film de prison érotique et brutal). Quand il ne réemploie pas les séquences d’un film tourné six ans plus tôt pour en faire un autre, remonté différemment et agrémenté de nouvelles scènes (Exorcisme et messes noires en 1974 devenant Le Sadique de Notre Dame en 1979). L’homme se cache souvent derrière une forêt de pseudonymes. L’inachèvement et l’indéfini sont consubstantiels de sa filmographie tout autant que l’énergie incroyable qui l’a fait croitre en s’enrichissant chaque année de plusieurs nouveaux titres.
Les Inassouvis
« Allons-y, mes chers amis, jouissez ! »
Exorcisme et messes noires
Absolument contemporain de ce que l’on a appelé le cinéma moderne, Jess Franco n’a pas suivi la voie des meilleurs de sa génération, attachés à en finir avec le classicisme, à renouveler les formes et à recourir à diverses techniques de distanciation. En empruntant un chemin a priori diamétralement opposé de celui-ci, il n’en a pas moins mené une entreprise de déconstruction aussi radicale que celle d’un Godard. Car lorsque Franco commence à réaliser des films, toutes les histoires ont déjà été racontées par le cinéma. Son érudition cinéphilique (une constante de sa génération) constitue l’arrière-boutique intellectuelle d’une œuvre où, désormais, les mythologies des genres ne sont plus que des figures de rhétorique que le cinéaste met à nu. La beauté de son adaptation « fidèle » du Dracula de Bram Stocker (El Conde Dracula/Les Nuits de Dracula en 1969) réside justement dans ce dépouillement lyrique. Que reste-t-il alors ? L’émotion, la poésie, la pulsion à l’état chimiquement pur. Franco a enchaîné des films à petit budget, d’autant plus fascinants qu’ils semblaient ne plus rien raconter du tout.
L’œuvre de Jess Franco n’a été longtemps possible que parce qu’il existait des salles de quartiers. C’est à cette particularité de l’exploitation, à une époque où la consommation populaire du cinéma se repaissait de doubles programmes promettant de l’érotisme, de la terreur et de la violence, que l’on doit l’existence et l’évolution du cinéma de l’auteur de Gritos en la noche. C’est la logique de flux (deux nouveaux films chaque semaine) de ce que l’on appelle le cinéma-bis, les exigences de l’exploitation populaire, qui ont rendu possible l’art de Jess Franco et, paradoxalement, l’ont libéré de toute entrave.
Un itinéraire excentrique et souverain
Jesus Franco Manera est né en 1936, à Madrid. Il abandonne la faculté de droit pour étudier le cinéma et effectue un séjour à Paris, au début des années cinquante, où il a l’occasion de fréquenter la Cinémathèque française, en même temps que les futurs auteurs de la Nouvelle Vague. Il devient assistant notamment de cinéastes comme Leon Klimovsky ou Joaquin Romero Marchent mais aussi Juan Antonio Bardem qui a incarné le renouveau du cinéma espagnol. Après trois documentaires, il réalise son premier long-métrage en 1959, Tenemos 18 anos. C’est, en 1961, avec son cinquième film, une coproduction avec la France, que son cinéma va sortir des frontières de son pays, condition essentielle pour permettre à ses obsessions de se déployer à l’abri de la censure franquiste. Gritos en la noche/L’Horrible Docteur Orloff a été vu comme l’acte de naissance du cinéma d’horreur espagnol. Il est évident que le film n’aurait sans doute pas été possible sans le succès récent des bandes de terreur gothiques britanniques (Terence Fisher) tout autant que celui des relectures baroques du cinéma italien (Riccardo Freda, Mario Bava, Antonio Margheriti). Mais Gritos en la Noche est bien plus que cela. Le postulat prométhéen (un chirurgien fou tente de redonner sa beauté à sa fille défigurée en faisant enlever par son assistant monstrueux des jeunes filles dont il veut retirer la peau du visage) est constamment tourmenté par une ambiance malsaine, un érotisme parfois cru et trivial (la version française comporte de furtifs plans de poitrines dénudées), l’usage d’une musique de jazz dont l’effet expressionniste repose sur le décalage perceptif qu’elle produit (une forme de dissonance audio/visuelle), un remarquable sens du cadre et de la lumière et le sentiment d’une distanciation subtile, non dénuée d’humour, d’une redoutable intelligence.S’ensuivit une série de titres sacrifiant superficiellement aux règles des genres, incroyablement stylés, dialoguant subrepticement autant avec les nouvelles vagues qu’avec la tradition de la série B hollywoodienne, comme La Muerte silba un blues/077 Opération Jamaïque en 1961, Rififi en la ciudad/Chasse à la mafia en 1963, Miss Muerte/Dans les griffes du Maniaque en 1965, Cartas bocas arriba/Cartes sur table en 1966. La Muerte silba un blues et Rififi en la ciudad le font remarquer d’Orson Welles, qui lui confie la direction de la seconde équipe de Chimes at midnight/Falstaff. Nul doute que l’auteur de Citizen Kane n’ait reconnu une sorte de petit cousin dans la personnalité et l’œuvre de Franco, sa manière de perdre le spectateur dans le labyrinthe de ses propres pulsions. Sa rencontre avec le producteur allemand Adrian Hoven est l’occasion pour Franco de se libérer davantage des conventions. Necronomicon, en 1967, est remarqué au festival de Berlin par Fritz Lang lui-même. Fausse œuvre-pop, fonctionnant par association d’idées, déployant à partir d’une intrigue minimale un champ ouvert sur un infini de sensations inédites, payant une dette autant à la bande dessinée et au roman-photo érotiques qu’à la poésie surréaliste, Necronomicon sera suivi de deux faux films d’aventures et d’espionnage, Kiss Me Monster et surtout Sadisterotica, où le cinéaste prend toute latitude par rapport à ses propres références et il livre une métaphore sur sa propre activité. Après le refus d’une proposition de travailler à Hollywood, la carrière de Franco va se découper en périodes correspondant aux années de travail avec des producteurs européens spécialisés dans le film à petit budget et spéculant sur les diverses libéralisations des censures, ouvrant la voie à un érotisme cinématographique de plus en plus décomplexé : l’Anglais Harry Alan Towers, les Français Robert De Nesle ou Marius Lesœur, le Suisse Edwin C. Dietrich. Chaque période paraît superficiellement marquée par un style particulier, pourtant le cinéma de Franco va demeurer fidèle à des obsessions que le cinéaste ne cesse de travailler, de creuser, de déployer, de ressasser.
Jess Franco voyeur
Le cinéma de Franco raconte-t-il encore des histoires ? Le cinéaste a souvent filmé le même scénario, répétant délibérément les mêmes intrigues, une manière de ne plus leur accorder la valeur de récit tel que le cinéma s’est longtemps complu à la légitimer. Gritos en la noche fera ainsi l’objet d’un certain nombre de variations, de El secreto del doctor Orloff/Les Maîtresses du Docteur Jekyll en 1964, à Der Dirnenmörder von London/Jack l’éventreur avec Klaus Kinski en 1976, sans parler de Névrose/El Hundimiento de la casa Usher qui, en 1983, en empruntera des séquences entières. Le récit de vengeance de Miss Muerte est décalqué dans Sie Tötete in Extase/Crimes dans l’extase avec son égérie du moment, Soledad Miranda, en 1970. La machination des Cauchemars naissent la nuit (1970) revient dans Die Teuflishen Schwestern/Deux sœurs vicieuses en 1977. Sans parler de la multitude de films relevant de ce genre pittoresque que l’on appelle les WIP (Women In Prison), misant sur le fantasme des infinies possibilités sexuelles et violentes de la promiscuité dans les prisons de femmes : 99 Mujeres/Les Brûlantes en 1968 à Frauen fur Zellenblock 9/Esclaves de l’amour en 1977, en passant par Quartier de femmes (1970), Frauengefangnis/Femmes en cage de 1975, Greta, Haus Ohne Manner/Le Pénitencier des femmes perverses en 1977, etc. Un choix qui valut à Franco le dédain d’un certain nombre d’amateurs qui le suivaient jusqu’alors. Les nécessités d’une progression discursive de l’intrigue sont souvent balayées d’un revers de main, en quelques phrases. Dans Miss Muerte, comme par l’effet d’une divination, le policier imagine (« Il se peut qu’elle ait été enlevée par certaines gens qui ont manipulé son cerveau… ») le fin mot de l’énigme. Souvent, comme le début de Diamants pour l’enfer (1975) peut en témoigner ou l’errance sans fin de La Comtesse noire, (chef-d’œuvre de 1973 illuminé par Lina Romay, qui deviendra plus que son actrice, un modèle s’identifiant à l’art même de Jess Franco) toute la dimension romanesque est contenue dans une voix off qui, sur des plans a priori dénués de signification narrative, condense alors tout un récit que l’on ne verra guère se dérouler à l’image. Celui-ci se consume donc proprement dans tout autre chose. Dans le simulacre devenu à la fois spectacle et vérité du spectacle. Les scènes de cabarets sont fréquentes dans le cinéma de Franco, goût particulier, personnel et constant du cinéaste. Elles ne constituent pas une péripétie « touristique » de l’intrigue, comme partout ailleurs, mais bien davantage le centre même du cinéma de l’auteur de Miss Muerte. C’est d’abord une métonymie des films eux-mêmes, dispositifs voyeuristes au cœur desquels le spectateur va se perdre, englouti par la force même de son désir de voir. La violence y est parfois mimée (cf.. le début de Necronomicon, de Vampyros Lesbos en 1970 ou bien de Exorcisme et messes noires en 1974), ce qui, insidieusement, confèrera plus tard à la brutalité diégétique un statut tout particulier. Le sang devient du rouge. Le sexe y est chorégraphié, mis en scène, au rythme d’une torsion non naturelle des corps. Mannequins, poupées et pantins remplacent parfois ceux-ci, déshumanisation « moderne » du personnage de cinéma ou érotisation fétichiste de l’inanimé. C’est ainsi que les situations de voyeurisme abondent dans les films de Franco. Assister aux ébats sexuels des autres est une situation courante, soit une scène primitive traumatique, comme dans Die Teuflishen Schwestern, soit, le plus souvent, le but secret des protagonistes (ce sont les moments les plus personnels, les plus « signés » des Prédateurs de la nuit réalisé en 1987).Jess Franco architecte
Jess Franco aime les espaces insolites, distordus parfois, incongrus, décalés, « dissonants ». C’est sans doute, entre autres choses, dans cette quête du décor étrange que le réalisateur rattache son œuvre à l’expressionnisme cinématographique. Mais le décor est ici, économie du tournage aidant, entièrement « naturel ». Pas de décorateur attaché à construire des artefacts mais la quête de lieux à la fois réels et étonnants, de ce qui, dans l’architecture moderne, ne recherche pas la fusion idéale avec une nature irréprochable mais ce qui s’en démarque ostensiblement, ce qui y introduit, pour le regard, une anomalie de la perspective. Des constructions de Gaudi habitées par les protagonistes des Infortunes de la vertu, en passant par les ensembles bétonnés, d’une fascinante laideur, de la Costa del Sol, de Benidorm, d’Alicante ou de La Grande Motte. La maison isolée de Sie Tötete in Extase, celle de La Comtesse perverse en sont aussi des exemples frappants. Qui a vu de nombreux films du cinéaste a itérativement aperçu tel escalier à la rampe faite d’une corde, par exemple, et utilisé régulièrement pour sa valeur topographique et dramatique. Franco reconstitue l’Amérique du Sud à Nice et l’Angleterre du XVIIe siècle au Portugal ou en Espagne. L’espace est purement mental. La réitération des mêmes décors, endroits et lieux divers participent de ce mouvement d’envoutement qui dépasse chaque titre, réduit à la qualité d’épisode d’un vaste feuilleton. Mais la mise en scène elle-même invente une cosmogonie transmutée par les choix de focales, le recours au grand angle, la dynamique de la profondeur de champ, les contre-plongées et surtout les zooms. Chaque plan frappe par son inspiration souvent foudroyante. Spécialiste de la série B, Franco sait comment donner une énergie immédiate au cadre avec peu de moyens.Jess Franco musicien
On le sait, le cinéaste est musicien, particulièrement amateur de jazz. Il lui arrive de composer ou de participer à la composition des musiques de ses films. Celle-ci, surtout lorsqu’elle est signée Bruno Nicolai ou Daniel White, contribue au lyrisme de certains d’entre eux à l’argument apparemment trivial. Le décalage entre l’image et la musique, l’effet inouï obtenu avec Gritos en la noche sera répété plusieurs fois. Dans Les Démons en 1970, c’est une sorte de jazz-rock avec flûte, percussion et guitare électrique, qui s’impose sur les images d’une Angleterre du XVIIe siècle. Lyrisme, effets de dissonance, (sans que ceux-ci soient perçus de façon contradictoire) sont donc recherchés par le cinéaste. Mais c’est, au-delà de la bande-son, toute la mise en scène et la progression du film qui relèvent d’une musicalité essentiellement attachée à plonger le spectateur dans un état de transe et d’hypnose.A cet égard, montrer près de soixante-dix films est sans doute une forme de pari. Il s’agira de voir cette rétrospective comme un voyage, un trip, une expérience hallucinogène à laquelle le spectateur devra se prêter. L’usage compulsif du zoom qui lui a souvent été reproché est une manière, entre autre chose, de refuser tout centre, tout punctum, à une image qui régulièrement s’abîme dans le flou, et surtout se brûle elle-même dans la vision onaniste de scènes de lesbianisme languides ou de masturbation féminine. Le cinéma de l’auteur de Doriana Gray se réduira, de plus en plus, à de longues plongées mélodiques sur des corps de femmes tordus par le plaisir. Le zoom devient une érection visuelle tendue vers le sexe féminin. La vulve est l’Eldorado de l’artiste érotomane qui construit une œuvre entièrement déterminée par la volonté de voir l’indicible. Jess Franco fait penser à ces jazzmen acharnés à répéter le même standard et qui, à force de le jouer, en ont fait disparaître progressivement les lignes mélodiques pour n’en retenir qu’une essence en forme d’absolu.
Jean-François Rauger
Je viens de finir de lire le petit livre de François Julien, dont je parlais ailleurs.
Son titre complet, qui n'apparaît pas sur la couverture parce que pas vendeur et que ça ne sonnait pas assez "multicul", en fait, est : "Il n'y a pas d'identité culturelle - mais nous défendons les ressources d'une culture". Ce qui change un peu les choses.
Le propos est un peu inégal, mais intéressant: à la fois bien pensant, voire gnan-gnan (éloge de l'Andalousie et du parler "jeune" vivifiant (!), emploi du terme bateau: "vivre ensemble"…), mais en fait assez subtil (ré-étymologisation de cette expression, rappel qu'il n'y a de dialogue et de vitalité que dans "l'écart"), et parfois conservateur (ré-enseigner le grec et le latin, faire lire Molière et Pascal à l'école, refuser le règne mou de la "tolérance").
Plaidoyer général pour la circulation, la comparaison (pas le "clash", mais plutôt le réexamen de soi à la lumière de l'autre), la traduction, et la promotion des "ressources" - nées et grandies dans un "paysage" - linguistiques, artistiques, "d'art de vivre et de mœurs", qui seules permettent "l'intégration".
Chaque nouvel apport, souvent critique, étant une occasion de mieux lire et apprécier, dans "l'écart",ce qui a précédé: Rimbaud réactive La Fontaine, la surréalisme questionne Descartes…
Si on cesse d'entretenir ces "ressources", par exemple "l'élégance" française, alors on sombre dans le vulgaire (la télé-réalité), ou dans l'uniformisation du "globish" (critique du succès mondial de "Harry Potter", un peu injuste à mon sens).
Sur le plan anthropologicopolitique, des remarques théoriques (de la "tension" entre prétention (occidentale) à l'universel et singularité émerge la possibilité d'un "sujet"), des choses déjà dites (par Valéry: l'occident, c'est la Grèce, Rome et la Christ - la science, la loi, la foi - etc…), mais débouchant sur la constatation que, hélas, "l'Europe a été défaite" dès lors qu'on a renoncé à rédiger un préambule à sa Constitution - qui aurait du mentionner ses "ressources" ET chrétiennes ET rationalistes, puisque l'intérêt de l'Europe moderne n'est que dans la "tension" et "l'écart" productif entre ces pôles.
Intéressant au total.
Son titre complet, qui n'apparaît pas sur la couverture parce que pas vendeur et que ça ne sonnait pas assez "multicul", en fait, est : "Il n'y a pas d'identité culturelle - mais nous défendons les ressources d'une culture". Ce qui change un peu les choses.
Le propos est un peu inégal, mais intéressant: à la fois bien pensant, voire gnan-gnan (éloge de l'Andalousie et du parler "jeune" vivifiant (!), emploi du terme bateau: "vivre ensemble"…), mais en fait assez subtil (ré-étymologisation de cette expression, rappel qu'il n'y a de dialogue et de vitalité que dans "l'écart"), et parfois conservateur (ré-enseigner le grec et le latin, faire lire Molière et Pascal à l'école, refuser le règne mou de la "tolérance").
Plaidoyer général pour la circulation, la comparaison (pas le "clash", mais plutôt le réexamen de soi à la lumière de l'autre), la traduction, et la promotion des "ressources" - nées et grandies dans un "paysage" - linguistiques, artistiques, "d'art de vivre et de mœurs", qui seules permettent "l'intégration".
Chaque nouvel apport, souvent critique, étant une occasion de mieux lire et apprécier, dans "l'écart",ce qui a précédé: Rimbaud réactive La Fontaine, la surréalisme questionne Descartes…
Si on cesse d'entretenir ces "ressources", par exemple "l'élégance" française, alors on sombre dans le vulgaire (la télé-réalité), ou dans l'uniformisation du "globish" (critique du succès mondial de "Harry Potter", un peu injuste à mon sens).
Sur le plan anthropologicopolitique, des remarques théoriques (de la "tension" entre prétention (occidentale) à l'universel et singularité émerge la possibilité d'un "sujet"), des choses déjà dites (par Valéry: l'occident, c'est la Grèce, Rome et la Christ - la science, la loi, la foi - etc…), mais débouchant sur la constatation que, hélas, "l'Europe a été défaite" dès lors qu'on a renoncé à rédiger un préambule à sa Constitution - qui aurait du mentionner ses "ressources" ET chrétiennes ET rationalistes, puisque l'intérêt de l'Europe moderne n'est que dans la "tension" et "l'écart" productif entre ces pôles.
Intéressant au total.
mercredi 22 février 2017
Sur l'affaire Mehdi Meklat:
Viens d'entendre, sur France Culture, la petite chronique du souvent pertinent Xavier de la Porte (qui parle en général du numérique), sur l'affaire Mehdi Meklat - en notant au passage que dans la bouche des journalistes de Radio France, les deux jeunes gens "MehdietBadrou" ont soudain retrouvé leur nom de famille, prise de distance opportune, toujours assez mauvais signe pour les intéressés… (on sait que le prénom seul employé, dans les media, rapproche, "connive", sacralise, "inoffensise"… mais passons).
La chronique rend assez bien compte du caractère bizarroïde de l'affaire - à savoir des propos "à la limite", semi-confidentiels, mais suffisamment accessibles pour qu'on suppose que l'auteur devait obscurément savoir/vouloir qu'on lui demande des comptes tôt ou tard, propos qui semblent "dans l'ombre déconstruire ce qui d'un autre côté était publiquement construit" - d'où "psyché tourmentée" et "complexité" de M. Meklat. Lecture la plus réaliste, celle d'une énorme névrose (pour ce que ça veut dire), absolument banale et déterminée par ailleurs - dont l'équivalent exact serait la figure du curé ou pasteur respecté dont on découvre les fichiers pédophiles - ou du père-la-rigueur ponctionnant l'argent public : le surinvestissement sur de l'angélique et de l'exemplaire ne s'explique que par un rapport inavouable à l'objet du désir/déni. C'est du banal, du déterminé, de la névrose.
Celle du jeune homme, assez maousse pour faire de lui un gros troll (50000 twits! - depuis 2011, pendant 3 ans), me semble assez amusante à supposer. Une "complexité qui nous échappe"? Balayons tout ça.
Ce jeune homme "exemplaire" de banlieue, kabyle mais lettré (niveau terminale L, quand même), musulman mais ouvert et branché, revendicatif mais "républicain" (au sens place de la Ré), qui est/était surtout l'emblème d'un antiracisme portatif, facile à pratiquer par les hipsters ("mon pote arabe qui aime la techno et boit des bières, il est pas sympa?") - ce qui assure le succès et tient lieu d'absolution - avait créé, dit-il, un personnage de fiction, un "double maléfique". Voyons.
Pseudo: "Marcellin Deschamps". Sensé être un beauf "blanc", raciste, anti-immigrés, homophobe, etc… Soit, cela semble clair.
Or, par une étrange involution, et en semblant au départ, clamer sa vision caricaturale de l'"arabe" (voyou, égorgeur, etc…), selon le principe classique de l'ironie didactique (faire dire ce qu'on ne pense pas pour en souligner le caractère odieux), "Marcellin Deschamps" peu à peu, twit après twit, devint en fait le retour de la voix caricaturale de "l'arabe" caricaturé, renvoyant, depuis un site d'énonciation devenu illocalisable (puisque chambre d'écho: qui parle, dans ce qui devient le face à face où se construit l'image-caricature?), à l'idée désastreuse que l'on se fait de lui. Le mode d'ironie alors change: ce n'est plus alors de l'ironie didactique à la Voltaire ou Montesquieu, mais de l'ironie d'auto-accusation, à la Céline, Genet ou à la Nabe, de l'ironie de provocation abjecte, encore appelé "autocatégorème".
(wikipedia) "L'autocatégorème (substantif masculin), du grec autos (« le même ») et katêgoria (« accusation ») est une figure de style qui consiste à répéter une accusation envers soi délibérée, ou de le feindre, afin de susciter une dénégation de l'interlocuteur. Le locuteur feint souvent de reconnaître les défauts ou les vices qu'on lui attribue mais en les outrant, par une hyperbole généralement de façon telle qu'ils ne paraissent plus vraisemblables. L'effet visé est avant tout rhétorique, par un jeu sur le pathos (sur les sentiments de l'interlocuteur). L'autocatégorème appartient donc à la classe des répétitions visant l'ironie et l'atténuation. Il est proche du chleuasme et de la prospoièse."
Et là, le dispositif de Mehdi s'est cassé la figure - d'abord par manque de moyens littéraires, on est sur twitter! - et par sous-estimation des affects…
Pour répondre à l'image désastreuse que "Marcellin Deschamps", le "beauf blanc intolérant", est sensé avoir de lui, l'"arabe" virtuel lui répond en se conformant à cette image désastreuse: les twits deviennent DE FAIT homophobes, intolérants, voire islamistes (menaces d'égorgement…). Il est possible que la superposition d'une double-ironie (ratée) ait été voulue par Mehdi Meklat, dans l'idée, assez rebattue, de suggérer que l'intolérance crée des intolérants; que la peur des uns fait que la réalité, en raison même du refus d'acceptation, risque de se conformer à ces peurs; que c'est le bon bourgeois français qui a créé le monstre immigré; bla bla, etc… Rhétorique gauchiste et victimaire classique, qui ici se voulait finaude.
Le problème c'est qu'à s'inventer un père fouettard, un Ubu sadien, on se retrouve soi même sadisé, en posture masochiste, et voilà que l'on bascule (avec jouissance!) dans le camp de l'abject, éminemment réversible, et que l'on devient soi-même bourreau ordurier - et Sade, de tous les auteurs, est celui qui pour qui l'ironie est vraiment lettre morte… Qui trop crie au loup… devient le loup. Il sera donc chassé en meute, bien fait. Medhi alors a été avalé par "l'arabe" de "Marcellin", qu'il désirait être… DOUBLEMENT.
Les affects, disais-je… On sait ici ma petite passion pour la lettre des noms. Surtout des noms inventés, comme ici "Marcellin Deschamps"… Etrange quand même, moi je l'aurais pas trouvé, mais Mehdi l'a… - un peu de lacanisme de comptoir, pour rire?
Marcellin:
• Raymond Marcellin: "Ministre de l'intérieur de 1968 à 1974, incarnation du retour à l'ordre musclé après mai 1968", surnom "Raymond la matraque"
• St Marcellin: fromage au lait de vache, originaire du Dauphiné —> "fromage", surnom des français blancs dans les banlieues françaises
• Saint Marcellin: plusieurs saints de ce nom (dont le 29è pape, mort en 304)
"Marcellin": donc, le "sur-français", représentant d'un ordre réactionnaire (post-colonial), sur-viril (la matraque!), ancré dans un terroir repoussant (le fromage coulant), figure haïe mais quand même idéalisée (il est quand même "saint"!): le croquemitaine Super-Dupont, que l'on aime à haïr, faute de pouvoir envisager l'égaler. Une image du père que l'on n'a pas?
"Deschamps":
• d'abord, des champs, c'est à dire le terroir, la campagne, le village miterrandien avec clocher, tout l'inverse de la banlieue - qui pourtant, paradoxe, a été bâtie sur "des champs", et veut faire de la France avec du pas-français. Une image du lieu que par définition l'on n'habite pas, inhabitable?
• Didier Deschamps: entraineur blanc d'une équipe de foot noire —> ordre post colonial! what else? Et, quand ne sélectionnant pas des joueurs "arabes", accusé par Cantona d'être raciste en ces termes: "Deschamps a un nom qui sonne bien français. C'est peut-être le seul en France à avoir un nom aussi français. Personne ne s'est jamais mélangé avec personne dans sa famille. Comme les Mormons en Amérique. Donc je ne suis pas surpris qu'il ait profité de la situation de Benzema pour ne pas le prendre" - déception de ne pas être "pris", quand on le désirait, mais être "pris" par le blanc et blond Didier, eût-ce été bien honorable? Voir la suite.
• Belle des Champs: "Tu baguenaudes dans les pâturages, Tu t'en vas de promener, Belle des Champs, Qu'il est blanc qu'il est crêmeux ton fromage, Dis donne-nous en un peu, Belle des Champs, Dis tu nous en donnes, Oh oui donnes nous en, Donne donne donne, ô Belle Belle des Champs" (1981, pub connue même des jeunes, via Youtube): la Belle blonde (la république, la France?), le fromage (que l'on quémande, dont on aimerait manger), mais pour cela il faudrait être "des champs", comme la belle (Marine Le Pen?) - ou alors prendre la route buissonnière du "baguenaudage", et, faute de rencontrer la Belle qui donne du fromage, ETRE la Belle qui fait son fromage… C'est toute la vie de Mehdi, ça! Et on s'étonne qu'ensuite les twits résonnent d'insultes homophobes!
Comme le disait son collègue de France Cul, ce Medhi-là, écartelé entre identité et désidentité, désir d'en être et dégoût du "fromage", et de pas mal d'autres choses, semble bien avoir "une psyché tourmentée".
Moins que Dr Jekyll & Mister Hyde, il semble être à la fois le ver de terre amoureux d'une étoile et Frankenstein s'opérant lui-même, Lorenzaccio & Richard III surpris au lit, Jean Genet et Pierre Guyotat en conversation dans un chantier de ville nouvelle, et l'héautontimorouménos de Baudelaire…
e constate soudain que toute ma lecture lacano-truc se casse la figure, en cela que "Marcellin" était en fait "Marcelin"…!
Il faudrait que je refasse tout mon topo? Non, quand même, car je peux la faire courte.
Ce qui frappe avec "Marcelin", c'est que, par rapport à "Marcellin", il n'en a qu'une.
Un seul L. Une seule aile. Comment peut-il alors voler, comme il le devrait?
Et Marcelin, c'est Marceline. Pas Deschamps, mais Desbordes-Valmore.
Say no more.
La version "officielle"? Pas si mal: "Marcel Duchamp" est convoqué - par rapport à quoi "Marcelin" le "pouilleux" minimise (diminutif), mais "Deschamps" maximise (passage au pluriel): complexe d'infériorité-supériorité? - c'est bravache en tout cas, et il va finir par me convaincre!
«Jusqu’en 2015, sous le pseudo "Marcelin Deschamps", j’incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter. A travers Marcelin Deschamps, je questionnais la notion d’excès et de provocation. Mais aujourd’hui je tweete sous ma véritable identité. Les propos de ce personnage fictif (Marcelin Deschamps) ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l’inverse. Je m’excuse si ces tweets ont pu choquer certains d’entre vous : ils sont obsolètes»… «En 2011, j’avais 19 ans. J’ai rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la beauté. Sûrement "Marcelin Deschamps" suivrait ce chemin. Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas "dans la vie réelle", il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites ? Aucune.»
«Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister.»
Un commentateur de Libé (pas moi, je corrige juste l'orthographe affreuse) cependant rappelle:
"Quel hypocrite et menteur! Ce type aurait, selon lui, pris le pseudo "Marcellin" pour pasticher un beauf raciste, il se trouve que pas un de ses tweets sur des milliers ne s'en prend aux cibles habituelles des racistes: musulmans, noirs, arabes… Au contraire ses tweets s'attaquent aux laïcs, républicains, pro-charlie, à Charb, Fourest, Badinter… Ils sont homophobes, misogynes, communautaristes, font l'apologie du terrorisme. Pour beaucoup moins de petits apprentis haineux ont été lourdement condamnés."
«S’ils étaient trapézistes, Mehdi M. serait le voltigeur, le bravache qui s’élance dans les airs, qui part en vrille. Badrou A. serait le soutier, celui qui tient, qui rattrape, le mûr porteur», peut-on lire dans le portrait que leur consacrait Libération en 2014.
On va appeler le bravache Mehdi qui part en vrille, "Marcelin", et le solide mur porteur Badrou, "Pierre", ok?
(wikipedia) "Les saints Marcellin et Pierre (décapités vers 304) sont des martyrs romains. L’un était prêtre et l’autre exorciste. Ils sont mentionnés dans la première prière eucharistique de la liturgie latine (dite Canon Romain). Liturgiquement ils sont commémorés le 2 juin.
Marcellin était un prêtre éminent de Rome. D’après leur Passio (un texte que les bollandistes considèrent comme peu fiable) (note de moi: les bollandistes? faute de frappe?), ils furent arrêtés durant la persécution de Dioclétien. Marcellin fut d'abord couché nu sur du verre brisé, tandis que Pierre était entravé par des liens très serrés. En prison leur zèle obtient la conversion de leur gardien Arthemius, de sa femme et de sa fille.
Condamnés par le magistrat Severus (note de moi: mais justus!…) ils furent conduits dans un bois, décapités et enterrés de telle manière que leur lieu de sépulture reste secret. Le secret est trahi par le bourreau (qui lui aussi devient chrétien...) et leurs restes sont exhumés et ensevelis honorablement dans la catacombe de Saint Tiburce (via Labicana). Le pape Damase (fin du IVe siècle) témoigna que, encore enfant, il entendit de la bouche même de leur bourreau le récit de l’exécution de Marcellin et Pierre. Il composa une épitaphe en leur honneur. À la demande de sa mère Sainte Hélène l’empereur Constantin construisit une église au-dessus de leur tombeau.
En 827 les reliques des deux saints furent envoyées par Grégoire IV à Eginhard, secrétaire de Charlemagne, pour le monastère qu’il fonda à Seligenstadt, près de la ville contemporaine de Francfort (en Allemagne)."
Je n'ai pas dit que ce texte-ci soit bien écrit, mais on peut proposer une interprétation de ce que dit Reyes.
Pour elle (comme pour pas mal d'écrivains modernes), la littérature authentique est le domaine de la "vérité", qui ne se comprend que dans l'expression d'une singularité extrême, indépendante même des contingences et des ancrages sociaux (ce en quoi les écrivains modernes se fourrent le doigt dans l'œil! mais bon…).
A l'inverse, la "civilisation" moderne est, depuis longtemps (XIXè s.), celle de la marchandise, et assigne à la littérature entre autres une fonction de représentation sociale: les livres vont être destinés à un public ciblé, l'écrivain lui-même va être promu comme un "produit", en cela que le marché de l'art industriel va lui assigner une place identifiée, reconnaissable, rassurante… Même pas besoin à ce titre qu'il soit authentiquement "écrivain" d'ailleurs.
Ici, "Medhi M." était ce "produit" promu pour public prêt à acheter ce qui était vendu: "le-vrai-jeune-de banlieue-"mais"-intelligent-branché-intégré-etc". Ce genre de "produit", parce ses termes forment une sorte d'oxymore intenable où l'un détruit l'autre, est une construction en trompe l'œil, qui relève du kitsch… Transformé en tête de gondole creuse, le pauvre M. ne pouvait que pêter un plomb, d'où "dommage collatéral".
Mais le fait qu'il ait schizophréniquement twitté sa "part de vérité" ne fait hélas pas de lui un écrivain, parce que la "vérité" recherchée par l'écrivain n'est (en théorie) pas de celles que n'importe qui dans la même situation sociale aurait pu dire (ici, le "double maléfique" revendiqué était le "jeune-rageux-de-banlieue-qui-dit-du-mal-des-juifs, etc…", quelle originalité!!). Certes le "produit" n'est alors plus un pur ersatz, il fait nettement plus "bio"; mais alors, puisqu'il se conforme pile à ce que l'ancrage social le destinait à dire ou penser, il sort vraiment de la "littérature" …
Le "kid" Mehdi est grillé auprès du "bourgeois" parce qu'on a voulu faire de lui un fake, un produit consommable au nom de la "civilisation", qui n'aime pas qu'il y ait de l'inconsommable - et que lui-même n'a à la longue pas pu avaler (soi-comme-produit: l'aliénation, quoi!). C'est l'échec aussi de l'écrivain en lui, en cela qu'aucune "vérité" singulière ni même de "complexité" en fait n'a émergé de façon convaincante. C'est maintenant peut-être qu'il pourrait le devenir, mais c'est pas donné… Après un tel livre, pardon, de tels tweets," il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix", disait Barbey d'Aurevilly de Huysmans, après "A Rebours". Si on était vache envers Mehdi, on pourrait dire qu'il lui reste le choix entre Alain Soral et les frères musulmans.
Pour clore (pour ce qui me concerne) ces ratiocinations sur le pauvre Mehdi, dont le cas, vous l'avez vu, m'intéressait depuis des années (mais que vais-je faire de mon temps ? - et son ami Badrou, alors, que sont au juste ses idées à lui, personne ne lui demande, c'est à croire que, parce qu'il n'est pas "arabe", mais juste noir, c'est tout à fait secondaire… (sans doute vrai socio-culturellement parlant, l'enjeu est moindre pour l'instant)…
Le meilleur article-fleuve (d'autant que ça coïncide avec mes analyses modestes de ci-dessus) est de Claude Askolovitch, qui a conseillé Medhi M. dans cette passe difficile, qui l'a vu rejeter ses conseils. Ici il nous raconte le gars en "insider", et conclut assez brillamment sur tout ça - faut dire qu'Asko avait conseillé et accompagné DSK, il s'y connaît donc en auto-destructions spectaculaires! :
http://www.slate.fr/story/138005/mehdi- ... -immondice
"Mehdi Meklat porte les stigmates de la haine. Lynché par les uns, lâché par les autres, il a été digéré. On vient de vivre une histoire sordide. Je m’en suis mêlé, moi qui ne l’avais jamais rencontré.
J’ai parlé à Mehdi Meklat hier soir. Il était épuisé. Il savait ce qu’ils avaient fait – jadis, en s’autorisant, et maintenant, en fuyant ce qui le terrifiait. «Vous allez mûrir autrement», lui ai-je-dit, et il a acquiescé. Il avait eu tant de pression, pour que cela s’arrête. Nous nous étions parlé une première fois dans la matinée. Il hésitait encore. Il allait écrire, s’expliquer, et se donnait une latitude. «Je dois prendre mon temps, bien y penser, me disait-il. C’est un texte qui va compter dans mon existence.» Il parlait à mots menus. C’est un péché courant chez les écrivains de croire que l’écriture les sauvera de leurs destructions. Meklat avait écrit une première version de sa contrition. Elle était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la partager…» (…) Il semblait d’accord? Je me trompais. L’après-midi, il confirmerait, sur Facebook, sa version de la comédie reniée. Il se roulait par terre. (…) J’avais l’impression, à lire, d’une trahison, d’une exécution. Mehdi assassinait un vieux copain affreux, déconneur, sans limite, avec qui il s’était bien marré, avant, mais qui le comprenait; il tuait une partie de lui-même. Il effaçait ce qui, ce qu’il avait été. C’est ainsi que l’on fabrique des fantômes. Il reviendrait le hanter? "
"La nuit précédente, 50.000 tweets avaient été effacé de son compte Twitter: tous ceux qui avaient été postés sous le nom de Deschamps. «J’avais pensé le faire il y a des mois, quand j'avais changé le nom de mon compte, pour poster sous mon nom. Mais j’avais fait une fausse manip, et les tweets étaient restés», m’avait-il dit. Ils étaient restés assez longtemps pour qu’on les recopie, et qu’on les lui projette à la figure, pour le détruire. Acte manqué? Volonté inconsciente de laisser des traces, des preuves, pour qu’un jour, au moment où cela serait le plus brutal, la vague se lève et le punisse? Meklat voulait être puni? C’est arrivé, exactement."
"Dissociation ou logique. Choisir ses cibles. Être vengeur. Dire sa vérité honteuse. Ou se suicider. Ou s’interdire la tranquillité. S’accomplir, ou se nier. Ou tout cela à la fois. Être vrai, en se niant. (…) Dans l’ombre, Marcelin Deschamps attendait son heure. Il avait été inventé pour cela, parions-nous. Tweet après tweet, toutes ces années, Mehdi Meklat avait accompli sa pulsion de mort freudienne: l’instrument de sa destruction salutaire, quand il faudrait se punir d’être allé au bout. Alors, le châtiment jaillirait. Voilà ce que je suis, voilà ce que vous admirez, beuglerait Marcelin aux amants de Mehdi."
(je pensais ne plus m'intéresser à ce cas, mais ce que vous dites est intéressant)
Encore une lecture politique, qui n'est pas seulement celle des "jeux radicaux" des jeunes, mais plutôt de l'ordre de la "vraie" radicalité, à la Fanon ou à la Sartre: c'est le devoir de décevoir (les ex-colonisateurs), qui s'impose politiquement (aux post-colonisés), ne serait-ce que par refus du paternalisme… "Votre déception, c'est notre émancipation, parce que votre satisfaction, c'est notre prison", etc…
https://twitter.com/samdemange01/status ... 40/photo/1
Bon, c'est les "Indigènes de la République", cette lecture - que je pense partiellement vraie, parce qu'elle est psychologiquement plausible - même si ça me semble sans issue, parce que saboter les attentes (trop) bienveillantes, c'est toujours marquer la dépendance vis à vis de papa-maman…
Viens d'entendre, sur France Culture, la petite chronique du souvent pertinent Xavier de la Porte (qui parle en général du numérique), sur l'affaire Mehdi Meklat - en notant au passage que dans la bouche des journalistes de Radio France, les deux jeunes gens "MehdietBadrou" ont soudain retrouvé leur nom de famille, prise de distance opportune, toujours assez mauvais signe pour les intéressés… (on sait que le prénom seul employé, dans les media, rapproche, "connive", sacralise, "inoffensise"… mais passons).
La chronique rend assez bien compte du caractère bizarroïde de l'affaire - à savoir des propos "à la limite", semi-confidentiels, mais suffisamment accessibles pour qu'on suppose que l'auteur devait obscurément savoir/vouloir qu'on lui demande des comptes tôt ou tard, propos qui semblent "dans l'ombre déconstruire ce qui d'un autre côté était publiquement construit" - d'où "psyché tourmentée" et "complexité" de M. Meklat. Lecture la plus réaliste, celle d'une énorme névrose (pour ce que ça veut dire), absolument banale et déterminée par ailleurs - dont l'équivalent exact serait la figure du curé ou pasteur respecté dont on découvre les fichiers pédophiles - ou du père-la-rigueur ponctionnant l'argent public : le surinvestissement sur de l'angélique et de l'exemplaire ne s'explique que par un rapport inavouable à l'objet du désir/déni. C'est du banal, du déterminé, de la névrose.
Celle du jeune homme, assez maousse pour faire de lui un gros troll (50000 twits! - depuis 2011, pendant 3 ans), me semble assez amusante à supposer. Une "complexité qui nous échappe"? Balayons tout ça.
Ce jeune homme "exemplaire" de banlieue, kabyle mais lettré (niveau terminale L, quand même), musulman mais ouvert et branché, revendicatif mais "républicain" (au sens place de la Ré), qui est/était surtout l'emblème d'un antiracisme portatif, facile à pratiquer par les hipsters ("mon pote arabe qui aime la techno et boit des bières, il est pas sympa?") - ce qui assure le succès et tient lieu d'absolution - avait créé, dit-il, un personnage de fiction, un "double maléfique". Voyons.
Pseudo: "Marcellin Deschamps". Sensé être un beauf "blanc", raciste, anti-immigrés, homophobe, etc… Soit, cela semble clair.
Or, par une étrange involution, et en semblant au départ, clamer sa vision caricaturale de l'"arabe" (voyou, égorgeur, etc…), selon le principe classique de l'ironie didactique (faire dire ce qu'on ne pense pas pour en souligner le caractère odieux), "Marcellin Deschamps" peu à peu, twit après twit, devint en fait le retour de la voix caricaturale de "l'arabe" caricaturé, renvoyant, depuis un site d'énonciation devenu illocalisable (puisque chambre d'écho: qui parle, dans ce qui devient le face à face où se construit l'image-caricature?), à l'idée désastreuse que l'on se fait de lui. Le mode d'ironie alors change: ce n'est plus alors de l'ironie didactique à la Voltaire ou Montesquieu, mais de l'ironie d'auto-accusation, à la Céline, Genet ou à la Nabe, de l'ironie de provocation abjecte, encore appelé "autocatégorème".
(wikipedia) "L'autocatégorème (substantif masculin), du grec autos (« le même ») et katêgoria (« accusation ») est une figure de style qui consiste à répéter une accusation envers soi délibérée, ou de le feindre, afin de susciter une dénégation de l'interlocuteur. Le locuteur feint souvent de reconnaître les défauts ou les vices qu'on lui attribue mais en les outrant, par une hyperbole généralement de façon telle qu'ils ne paraissent plus vraisemblables. L'effet visé est avant tout rhétorique, par un jeu sur le pathos (sur les sentiments de l'interlocuteur). L'autocatégorème appartient donc à la classe des répétitions visant l'ironie et l'atténuation. Il est proche du chleuasme et de la prospoièse."
Et là, le dispositif de Mehdi s'est cassé la figure - d'abord par manque de moyens littéraires, on est sur twitter! - et par sous-estimation des affects…
Pour répondre à l'image désastreuse que "Marcellin Deschamps", le "beauf blanc intolérant", est sensé avoir de lui, l'"arabe" virtuel lui répond en se conformant à cette image désastreuse: les twits deviennent DE FAIT homophobes, intolérants, voire islamistes (menaces d'égorgement…). Il est possible que la superposition d'une double-ironie (ratée) ait été voulue par Mehdi Meklat, dans l'idée, assez rebattue, de suggérer que l'intolérance crée des intolérants; que la peur des uns fait que la réalité, en raison même du refus d'acceptation, risque de se conformer à ces peurs; que c'est le bon bourgeois français qui a créé le monstre immigré; bla bla, etc… Rhétorique gauchiste et victimaire classique, qui ici se voulait finaude.
Le problème c'est qu'à s'inventer un père fouettard, un Ubu sadien, on se retrouve soi même sadisé, en posture masochiste, et voilà que l'on bascule (avec jouissance!) dans le camp de l'abject, éminemment réversible, et que l'on devient soi-même bourreau ordurier - et Sade, de tous les auteurs, est celui qui pour qui l'ironie est vraiment lettre morte… Qui trop crie au loup… devient le loup. Il sera donc chassé en meute, bien fait. Medhi alors a été avalé par "l'arabe" de "Marcellin", qu'il désirait être… DOUBLEMENT.
Les affects, disais-je… On sait ici ma petite passion pour la lettre des noms. Surtout des noms inventés, comme ici "Marcellin Deschamps"… Etrange quand même, moi je l'aurais pas trouvé, mais Mehdi l'a… - un peu de lacanisme de comptoir, pour rire?
Marcellin:
• Raymond Marcellin: "Ministre de l'intérieur de 1968 à 1974, incarnation du retour à l'ordre musclé après mai 1968", surnom "Raymond la matraque"
• St Marcellin: fromage au lait de vache, originaire du Dauphiné —> "fromage", surnom des français blancs dans les banlieues françaises
• Saint Marcellin: plusieurs saints de ce nom (dont le 29è pape, mort en 304)
"Marcellin": donc, le "sur-français", représentant d'un ordre réactionnaire (post-colonial), sur-viril (la matraque!), ancré dans un terroir repoussant (le fromage coulant), figure haïe mais quand même idéalisée (il est quand même "saint"!): le croquemitaine Super-Dupont, que l'on aime à haïr, faute de pouvoir envisager l'égaler. Une image du père que l'on n'a pas?
"Deschamps":
• d'abord, des champs, c'est à dire le terroir, la campagne, le village miterrandien avec clocher, tout l'inverse de la banlieue - qui pourtant, paradoxe, a été bâtie sur "des champs", et veut faire de la France avec du pas-français. Une image du lieu que par définition l'on n'habite pas, inhabitable?
• Didier Deschamps: entraineur blanc d'une équipe de foot noire —> ordre post colonial! what else? Et, quand ne sélectionnant pas des joueurs "arabes", accusé par Cantona d'être raciste en ces termes: "Deschamps a un nom qui sonne bien français. C'est peut-être le seul en France à avoir un nom aussi français. Personne ne s'est jamais mélangé avec personne dans sa famille. Comme les Mormons en Amérique. Donc je ne suis pas surpris qu'il ait profité de la situation de Benzema pour ne pas le prendre" - déception de ne pas être "pris", quand on le désirait, mais être "pris" par le blanc et blond Didier, eût-ce été bien honorable? Voir la suite.
• Belle des Champs: "Tu baguenaudes dans les pâturages, Tu t'en vas de promener, Belle des Champs, Qu'il est blanc qu'il est crêmeux ton fromage, Dis donne-nous en un peu, Belle des Champs, Dis tu nous en donnes, Oh oui donnes nous en, Donne donne donne, ô Belle Belle des Champs" (1981, pub connue même des jeunes, via Youtube): la Belle blonde (la république, la France?), le fromage (que l'on quémande, dont on aimerait manger), mais pour cela il faudrait être "des champs", comme la belle (Marine Le Pen?) - ou alors prendre la route buissonnière du "baguenaudage", et, faute de rencontrer la Belle qui donne du fromage, ETRE la Belle qui fait son fromage… C'est toute la vie de Mehdi, ça! Et on s'étonne qu'ensuite les twits résonnent d'insultes homophobes!
Comme le disait son collègue de France Cul, ce Medhi-là, écartelé entre identité et désidentité, désir d'en être et dégoût du "fromage", et de pas mal d'autres choses, semble bien avoir "une psyché tourmentée".
Moins que Dr Jekyll & Mister Hyde, il semble être à la fois le ver de terre amoureux d'une étoile et Frankenstein s'opérant lui-même, Lorenzaccio & Richard III surpris au lit, Jean Genet et Pierre Guyotat en conversation dans un chantier de ville nouvelle, et l'héautontimorouménos de Baudelaire…
e constate soudain que toute ma lecture lacano-truc se casse la figure, en cela que "Marcellin" était en fait "Marcelin"…!
Il faudrait que je refasse tout mon topo? Non, quand même, car je peux la faire courte.
Ce qui frappe avec "Marcelin", c'est que, par rapport à "Marcellin", il n'en a qu'une.
Un seul L. Une seule aile. Comment peut-il alors voler, comme il le devrait?
Et Marcelin, c'est Marceline. Pas Deschamps, mais Desbordes-Valmore.
Say no more.
La version "officielle"? Pas si mal: "Marcel Duchamp" est convoqué - par rapport à quoi "Marcelin" le "pouilleux" minimise (diminutif), mais "Deschamps" maximise (passage au pluriel): complexe d'infériorité-supériorité? - c'est bravache en tout cas, et il va finir par me convaincre!
«Jusqu’en 2015, sous le pseudo "Marcelin Deschamps", j’incarnais un personnage honteux raciste antisémite misogyne homophobe sur Twitter. A travers Marcelin Deschamps, je questionnais la notion d’excès et de provocation. Mais aujourd’hui je tweete sous ma véritable identité. Les propos de ce personnage fictif (Marcelin Deschamps) ne représentent évidemment pas ma pensée et en sont tout l’inverse. Je m’excuse si ces tweets ont pu choquer certains d’entre vous : ils sont obsolètes»… «En 2011, j’avais 19 ans. J’ai rejoint Facebook et Twitter. Twitter était alors un Far West numérique. Un nouvel objet, presque confidentiel, où aucune règle n’était édictée, aucune modération exercée. J’ai trouvé un pseudo : Marcelin Deschamps. Les œuvres de Marcel Duchamp m’avaient inspiré une certaine idée de la beauté. Sûrement "Marcelin Deschamps" suivrait ce chemin. Mais rapidement, il est devenu un personnage de fiction maléfique. Il n’était pas "dans la vie réelle", il était sur Twitter. Il se permettait tous les excès, les insultes les plus sauvages. Par là, il testait la notion de provocation. Jusqu’où pouvait-il aller ? Quelles seraient ses limites ? Aucune.»
«Aujourd’hui, j’ai conscience que les provocations de Marcelin Deschamps, ce personnage pouilleux, étaient finalement leurs propres limites. Elles sont désormais mortes et n’auraient jamais dû exister.»
Un commentateur de Libé (pas moi, je corrige juste l'orthographe affreuse) cependant rappelle:
"Quel hypocrite et menteur! Ce type aurait, selon lui, pris le pseudo "Marcellin" pour pasticher un beauf raciste, il se trouve que pas un de ses tweets sur des milliers ne s'en prend aux cibles habituelles des racistes: musulmans, noirs, arabes… Au contraire ses tweets s'attaquent aux laïcs, républicains, pro-charlie, à Charb, Fourest, Badinter… Ils sont homophobes, misogynes, communautaristes, font l'apologie du terrorisme. Pour beaucoup moins de petits apprentis haineux ont été lourdement condamnés."
«S’ils étaient trapézistes, Mehdi M. serait le voltigeur, le bravache qui s’élance dans les airs, qui part en vrille. Badrou A. serait le soutier, celui qui tient, qui rattrape, le mûr porteur», peut-on lire dans le portrait que leur consacrait Libération en 2014.
On va appeler le bravache Mehdi qui part en vrille, "Marcelin", et le solide mur porteur Badrou, "Pierre", ok?
(wikipedia) "Les saints Marcellin et Pierre (décapités vers 304) sont des martyrs romains. L’un était prêtre et l’autre exorciste. Ils sont mentionnés dans la première prière eucharistique de la liturgie latine (dite Canon Romain). Liturgiquement ils sont commémorés le 2 juin.
Marcellin était un prêtre éminent de Rome. D’après leur Passio (un texte que les bollandistes considèrent comme peu fiable) (note de moi: les bollandistes? faute de frappe?), ils furent arrêtés durant la persécution de Dioclétien. Marcellin fut d'abord couché nu sur du verre brisé, tandis que Pierre était entravé par des liens très serrés. En prison leur zèle obtient la conversion de leur gardien Arthemius, de sa femme et de sa fille.
Condamnés par le magistrat Severus (note de moi: mais justus!…) ils furent conduits dans un bois, décapités et enterrés de telle manière que leur lieu de sépulture reste secret. Le secret est trahi par le bourreau (qui lui aussi devient chrétien...) et leurs restes sont exhumés et ensevelis honorablement dans la catacombe de Saint Tiburce (via Labicana). Le pape Damase (fin du IVe siècle) témoigna que, encore enfant, il entendit de la bouche même de leur bourreau le récit de l’exécution de Marcellin et Pierre. Il composa une épitaphe en leur honneur. À la demande de sa mère Sainte Hélène l’empereur Constantin construisit une église au-dessus de leur tombeau.
En 827 les reliques des deux saints furent envoyées par Grégoire IV à Eginhard, secrétaire de Charlemagne, pour le monastère qu’il fonda à Seligenstadt, près de la ville contemporaine de Francfort (en Allemagne)."
Je n'ai pas dit que ce texte-ci soit bien écrit, mais on peut proposer une interprétation de ce que dit Reyes.
Pour elle (comme pour pas mal d'écrivains modernes), la littérature authentique est le domaine de la "vérité", qui ne se comprend que dans l'expression d'une singularité extrême, indépendante même des contingences et des ancrages sociaux (ce en quoi les écrivains modernes se fourrent le doigt dans l'œil! mais bon…).
A l'inverse, la "civilisation" moderne est, depuis longtemps (XIXè s.), celle de la marchandise, et assigne à la littérature entre autres une fonction de représentation sociale: les livres vont être destinés à un public ciblé, l'écrivain lui-même va être promu comme un "produit", en cela que le marché de l'art industriel va lui assigner une place identifiée, reconnaissable, rassurante… Même pas besoin à ce titre qu'il soit authentiquement "écrivain" d'ailleurs.
Ici, "Medhi M." était ce "produit" promu pour public prêt à acheter ce qui était vendu: "le-vrai-jeune-de banlieue-"mais"-intelligent-branché-intégré-etc". Ce genre de "produit", parce ses termes forment une sorte d'oxymore intenable où l'un détruit l'autre, est une construction en trompe l'œil, qui relève du kitsch… Transformé en tête de gondole creuse, le pauvre M. ne pouvait que pêter un plomb, d'où "dommage collatéral".
Mais le fait qu'il ait schizophréniquement twitté sa "part de vérité" ne fait hélas pas de lui un écrivain, parce que la "vérité" recherchée par l'écrivain n'est (en théorie) pas de celles que n'importe qui dans la même situation sociale aurait pu dire (ici, le "double maléfique" revendiqué était le "jeune-rageux-de-banlieue-qui-dit-du-mal-des-juifs, etc…", quelle originalité!!). Certes le "produit" n'est alors plus un pur ersatz, il fait nettement plus "bio"; mais alors, puisqu'il se conforme pile à ce que l'ancrage social le destinait à dire ou penser, il sort vraiment de la "littérature" …
Le "kid" Mehdi est grillé auprès du "bourgeois" parce qu'on a voulu faire de lui un fake, un produit consommable au nom de la "civilisation", qui n'aime pas qu'il y ait de l'inconsommable - et que lui-même n'a à la longue pas pu avaler (soi-comme-produit: l'aliénation, quoi!). C'est l'échec aussi de l'écrivain en lui, en cela qu'aucune "vérité" singulière ni même de "complexité" en fait n'a émergé de façon convaincante. C'est maintenant peut-être qu'il pourrait le devenir, mais c'est pas donné… Après un tel livre, pardon, de tels tweets," il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix", disait Barbey d'Aurevilly de Huysmans, après "A Rebours". Si on était vache envers Mehdi, on pourrait dire qu'il lui reste le choix entre Alain Soral et les frères musulmans.
Pour clore (pour ce qui me concerne) ces ratiocinations sur le pauvre Mehdi, dont le cas, vous l'avez vu, m'intéressait depuis des années (mais que vais-je faire de mon temps ? - et son ami Badrou, alors, que sont au juste ses idées à lui, personne ne lui demande, c'est à croire que, parce qu'il n'est pas "arabe", mais juste noir, c'est tout à fait secondaire… (sans doute vrai socio-culturellement parlant, l'enjeu est moindre pour l'instant)…
Le meilleur article-fleuve (d'autant que ça coïncide avec mes analyses modestes de ci-dessus) est de Claude Askolovitch, qui a conseillé Medhi M. dans cette passe difficile, qui l'a vu rejeter ses conseils. Ici il nous raconte le gars en "insider", et conclut assez brillamment sur tout ça - faut dire qu'Asko avait conseillé et accompagné DSK, il s'y connaît donc en auto-destructions spectaculaires! :
http://www.slate.fr/story/138005/mehdi- ... -immondice
"Mehdi Meklat porte les stigmates de la haine. Lynché par les uns, lâché par les autres, il a été digéré. On vient de vivre une histoire sordide. Je m’en suis mêlé, moi qui ne l’avais jamais rencontré.
J’ai parlé à Mehdi Meklat hier soir. Il était épuisé. Il savait ce qu’ils avaient fait – jadis, en s’autorisant, et maintenant, en fuyant ce qui le terrifiait. «Vous allez mûrir autrement», lui ai-je-dit, et il a acquiescé. Il avait eu tant de pression, pour que cela s’arrête. Nous nous étions parlé une première fois dans la matinée. Il hésitait encore. Il allait écrire, s’expliquer, et se donnait une latitude. «Je dois prendre mon temps, bien y penser, me disait-il. C’est un texte qui va compter dans mon existence.» Il parlait à mots menus. C’est un péché courant chez les écrivains de croire que l’écriture les sauvera de leurs destructions. Meklat avait écrit une première version de sa contrition. Elle était mièvre. Il évoquait sa famille et ses bonnes actions, ses reportages auprès des éclopés du capitalisme. Il ne pouvait pas être mauvais, alors? «Ne vous abritez pas!» Je lui disais de prendre des risques. «La seule chose qui m’intéresse, c’est de savoir jusqu’où vous ressemblez à cette violence, et jusqu’où je peux la comprendre, voire la partager…» (…) Il semblait d’accord? Je me trompais. L’après-midi, il confirmerait, sur Facebook, sa version de la comédie reniée. Il se roulait par terre. (…) J’avais l’impression, à lire, d’une trahison, d’une exécution. Mehdi assassinait un vieux copain affreux, déconneur, sans limite, avec qui il s’était bien marré, avant, mais qui le comprenait; il tuait une partie de lui-même. Il effaçait ce qui, ce qu’il avait été. C’est ainsi que l’on fabrique des fantômes. Il reviendrait le hanter? "
"La nuit précédente, 50.000 tweets avaient été effacé de son compte Twitter: tous ceux qui avaient été postés sous le nom de Deschamps. «J’avais pensé le faire il y a des mois, quand j'avais changé le nom de mon compte, pour poster sous mon nom. Mais j’avais fait une fausse manip, et les tweets étaient restés», m’avait-il dit. Ils étaient restés assez longtemps pour qu’on les recopie, et qu’on les lui projette à la figure, pour le détruire. Acte manqué? Volonté inconsciente de laisser des traces, des preuves, pour qu’un jour, au moment où cela serait le plus brutal, la vague se lève et le punisse? Meklat voulait être puni? C’est arrivé, exactement."
"Dissociation ou logique. Choisir ses cibles. Être vengeur. Dire sa vérité honteuse. Ou se suicider. Ou s’interdire la tranquillité. S’accomplir, ou se nier. Ou tout cela à la fois. Être vrai, en se niant. (…) Dans l’ombre, Marcelin Deschamps attendait son heure. Il avait été inventé pour cela, parions-nous. Tweet après tweet, toutes ces années, Mehdi Meklat avait accompli sa pulsion de mort freudienne: l’instrument de sa destruction salutaire, quand il faudrait se punir d’être allé au bout. Alors, le châtiment jaillirait. Voilà ce que je suis, voilà ce que vous admirez, beuglerait Marcelin aux amants de Mehdi."
(je pensais ne plus m'intéresser à ce cas, mais ce que vous dites est intéressant)
Encore une lecture politique, qui n'est pas seulement celle des "jeux radicaux" des jeunes, mais plutôt de l'ordre de la "vraie" radicalité, à la Fanon ou à la Sartre: c'est le devoir de décevoir (les ex-colonisateurs), qui s'impose politiquement (aux post-colonisés), ne serait-ce que par refus du paternalisme… "Votre déception, c'est notre émancipation, parce que votre satisfaction, c'est notre prison", etc…
https://twitter.com/samdemange01/status ... 40/photo/1
Bon, c'est les "Indigènes de la République", cette lecture - que je pense partiellement vraie, parce qu'elle est psychologiquement plausible - même si ça me semble sans issue, parce que saboter les attentes (trop) bienveillantes, c'est toujours marquer la dépendance vis à vis de papa-maman…
Encore des artistes chantantes!
• découverte (?) de Florence + the Machine. Premier album salué (Lungs, 2009), second surproduit, troisième plus "modéré" avec une ou deux bonnes chansons. mais la dame surestime sa voix, pas si extraordinaire, de la quelle elle exige trop…
• redécouverte de Metric, et de sa merveilleuse chanteuse Emily Haines. Deux albums à acquérir: Fantasies (2011) & Synthetica (2012)
• entendu à la radio: Dear Reader, du folk raffiné. A écouter.
En France, Yelle, la Grande Sophie, Julie Armanet…
• De Californie, une autre Dionne Waewick, une chanteuse de confort voire de consolation : Kadhja Bonet
• découverte (?) de Florence + the Machine. Premier album salué (Lungs, 2009), second surproduit, troisième plus "modéré" avec une ou deux bonnes chansons. mais la dame surestime sa voix, pas si extraordinaire, de la quelle elle exige trop…
• redécouverte de Metric, et de sa merveilleuse chanteuse Emily Haines. Deux albums à acquérir: Fantasies (2011) & Synthetica (2012)
• entendu à la radio: Dear Reader, du folk raffiné. A écouter.
En France, Yelle, la Grande Sophie, Julie Armanet…
• De Californie, une autre Dionne Waewick, une chanteuse de confort voire de consolation : Kadhja Bonet
lundi 13 février 2017
J'apprends l'inévitable existence de groupes musicaux de "synthwave" ou "retrosynth".
Ecoute, indulgente mais sceptique, de Gunship, Dynatron, Powerglove…
Y ajouter Lazerhawk - édité chez Rosso Cosa, le label de ce genre de musiques.
Et les français Minitel Rose et Valérie.
Et Carpenter Brut (pas mal du tout!)
Ecoute, indulgente mais sceptique, de Gunship, Dynatron, Powerglove…
Y ajouter Lazerhawk - édité chez Rosso Cosa, le label de ce genre de musiques.
Et les français Minitel Rose et Valérie.
Et Carpenter Brut (pas mal du tout!)
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