samedi 14 décembre 2019

Cette nuit, après lecture d'inédits de Baudrillard (peut-être inspiratoire, avec un peu Hume), une intuition sur le système: objet/pensée/société. Suscité par un T-Shirt avec un chat, dont la vue m'a empli d'une aise subite, donc à analyser. C'est la conversion d'une sensation/relation en pensée,  de la pensée en objet, et le fait que l'objet renvoie à un (possible) partage de la pensée (avec un autrui, par exemple concevant, fabriquant, arborant le t-shirt - ou avec moi même devenu moi pour autrui/moi en protant le T-shirt, ou juste en réceptionnant son impact sur moi) qui crée l'impression de rassurante reconnaissance. Il en fut de même des cathédrales. A un certain stade, l'objet est le partage de la pensée - son indice, matériel. Quand telle pensée passe de mode, l'objet perd sa destination (son partage matériel) et se dégrade - ou s'altère, il change d'"objet". Notre culture est matérielle - rien ne se dit ni ne restera de nos pensées que les objets qui les figurent. Et la pensée, hors la pure subjectivité pensante, c'est l'usage et le partage des objets, invoquant les sentiments de relation.

Ajoût (à une correspondante sur un forum) - sans doute à réécrire:

Un versant tout à fait remarquable de l'esprit français de grand style 70-80' - et reconnu comme tel, moins en France qu'à l'étranger, d'ailleurs, c'était Jean Baudrillard.

Après l'avoir pas mal lu il y a des années ses bouquins suggestifs et/car illisibles, et constaté qu'il était un peu trop tombé dans le domaine publique de la "culture populaire" ou journalistique autour de 1990-2000, je croyais sincèrement sa pensée dépassée en grande partie.
Or je viens de finir un livre d'Entretiens inédit - où, causant avec des amis de ses idées, il est beaucoup plus clair que dans ses essais.

Et je redécouvre avec étonnement et admiration que les lignes qu'il tenait, il y a 30-40 ans, sont archi-pertinentes pour évaluer le maintenant, plus que jamais.

C'est un peu tous les thèmes que vous mentionnez.
Sur les mouvements sociaux et le social qui "ne fonctionne pas" (c'est pour Baudrillard un point acquis!); sur l'informatisation et les réseaux (qui, à la majorité, ne servent à rien, sinon à "communiquer" du rien!);sur Bourdieu (dont les disciples produisent mécaniquement, comme par "simulation", des analyses que B. juge dépassées depuis les années 60); sur les féministes (qui enragent qu'on leur dise qu'il n'y a "ni perdants ni gagnants" dans le rapport des sexes, et qui tirent de la plainte une force souveraine!); sur les banlieues et les immigrés (dont B. "salue" la force anthropologique de "mépris" agressif, comparable à celles des "aborigènes"!); sur la mondialisation et la guerre - et, enfin sur le fait que le réel, dit Baudrillard, est "viral et métaleptique"…

Je n'avais pas compris ces notions, que B. a produit sur la fin, après 2001: là, c'est clairement expliqué.
"Métaleptique", c'est qu'il serait utile de piger que beaucoup de ce qu'on désigne comme un "effet" est en fait surtout une "cause". (!) (on peut discuter de ça).
Et "viral", parce que les analyses fausses, "simulacres" d'explication, ont tendance à se diffuser dans des domaines annexes mais hétérogènes du social, pour contaminer, hybrider, et parasiter tous les discours - et les rendre maladifs.

Applicable à tout (puisque c'est "viral") ce qui nous fait devenir chèvre: tant le débat social ou autour des retraites, qu'à la question des données informatiques ou des querelles médicales, à l'identitarisme qu'au mouvement "metoo", etc…

A tout, en fait, de ce qui fait notre occident "post-moderne", moins faux que faussé, moins en proie à l'"anomie" (certains ne respectent pas les lois) qu'à l'"anomalie" (certains ne veulent plus jouer selon les mêmes règles, ou ne le peuvent, ou ne les comprennent même pas!) - on n'en est pas vraiment sorti, et on en sortira seulement lors d'un "effondrement systémique", dont B. disait avec humour qu'il espérait le voir de son vivant.

Et qu'il était "optimiste, pas du tout "nihiliste" - ajoutant: "c'est le réel qui est nihiliste".

La seule "chose" (c'est le mot qu'il utilise pour désigner tous ces discours sociaux méta-évolutifs) qu'il n'aborde pas dans le bouquin d'entretiens, c'est l'écologie, l'environnement, etc… Là, dans les années 90-2000, il témoigne bien du fait que ça n'avait pas émergé. Maintenant oui, sur le mode "viral et métaleptique" (éoliennes subventionnées, antispécistes vegans, et Greta!)!


Ajoût encore (issu encore de réflexion nocturne, sur le matin, jeudi19 décembre 2019):

Les gens n'aiment pas bien savoir; ils préfèrent croire. Il faut dire que savoir, c'est d'abord savoir que l'on va mourir, ce qui n'est pas drôle, et qu'il n'y a que cela à savoir sur la mort. Plutôt que de savoir cet "être-pour-mourir", on va préférer croire qu'il y a quelque chose à savoir de plus ou à savoir dessus, autre que ce que l'on en sait déjà, c'est à dire rien de plus. C'est la croyance.

La croyance, pour reprendre Baudrillard, est sans doute "métaleptique", et elle se communique de façon "virale" - à la différence du savoir, qui est d'abord le savoir qu'il y a croyance. On pourrait dire que la croyance s'ignore comme telle, et qu'elle prend "l'effet pour la cause", entrant ensuite dans un système de propagation-répétition: on ne croit jamais que ce que quelqu'un d'autre croit. Aussi difficile de trouver l'origine d'une croyance donnée que d'une blague - or, il s'agit bien de cela: une blague sérieuse. Tout comme les blagues deviennent peu intelligibles sorties de leur contexte historico-social, de même les croyances: c'est un peu à cela aussi qu'on peut les reconnaître, au fait qu'elles s'inscrivent trop bien dans un horizon de discours finalement convenu. La croyance est secrétée, comme effet de langage, qui entend désigner des effets qui auraient des causes, qui sont en fait des causes, qui ont des effets de croyance  - il ne s'agit donc pas de causalité linéaire (Descartes, Humes, Nietzsche mettent en garde contre cette croyance).

Exemple trivial: les jeunes actrices sont agressées (effet) par des producteurs libidineux (causes). Mais sans jeunes actrices agressables, il n'y a aurait pas de producteurs libidineux! Juleitte Binoche, à la radio, entretien avec Laure Adler, étonemment claire sur cette question, fait état d'un savoir (d'actrice), et ne propage pas la croyance, qui supposerait, toujours, de jeter le bébé avec l'eau du bain. Autre exemple: les femmes se font agresser (effet) parce qu'elles sont impudiques (cause). mais c'est parce qu'elles sont agressées qu'elles sont jugées impudiques! C'est le même raisonnement: inverser la logique des croyances, dont l'une semble peut-être plus recevable que l'autre, mais qui toutes deux un simple produit occultant un savoir qu'on ne veut pas savoir.

C'est là qu'on peut passer de Baudrillard à Lacan (B. disait avoir bien aimé Lacan, qui veneiat non compléter mais détruire le psychanalyse, "ce dont elle avait bien besoin"!). En fait, le savoir, on le sait. C'est même pour cela qu'on ne veut pas le savoir - et qu'on construit le paravent des croyances. Lacan (via Zizek) signale que le propre même du réel étant d'être inhabitable, et le savoir donc insoutenable, la croyance vient le rendre vivable - puisqu'il est à peine pensable, du fait dêtre une butée de notre savoir. On sait tout sur le réel, et c'est qu'on ne sait pas ce qu'il y aurait de plus que ce que l'on sait. Ainsi, sur la mort. La croyance, c'est enfin et surtout ce que je veux croire, et que je crois surtout parce que les autres y croient. Ou semblent y croire. En fait, personne ne croit "vraiment" à ce qu'il croit: tout le monde "sait" - et sait bien que les croyances ne sont que jeu de fumées. Je sais que je ne sais pas - mais c'est effrayant, alors je vais croire, mais en sachant que mes croyances ne sont que des croyances. Et en croyant que je le dissimule assez pour entrer dans le groupe. Car croire seul, c'est être isolé, fou.

Certaines religions disent cela assez clairement - elles ont un savoir sur la croyance. Mais souvent, ce qui va fonder ma croyance va juste être le mimétisme, un effet d'entraînement un peu forcé: je vais croire ce qui, chez autrui, va me persuader de croire: à savoir sa croyance, que je me travestis comme un savoir. L'autre comme "sujet-supposé-savoir", infiniment rassurant, et angoissant, au regard de mon évidente absence de conviction fondée. Une croyance sur la croyance, celle que le croyance serait savoir. Comme chacun à foncièrement l'impression d'être le seul à ne pas croire, c'est à dire à être exposé à la vérité - insoutenable - la fuite se fera dans l'illusion que la croyance de l'autre soit un savoir. Je vais emboiter le pas, ou surenchérir, à hauteur non de mon doute, mais de la certitude (savoir) de la viduité de ma croyance. Mais que l'autre croient "vraiment", à ma place, et je suis sauvé - parce que je suis caché: je n'ai plus qu'à faire croire que je crois! Le Pape me dispense de croire, mais fait de moi un catholique - tant que je ne considère pas "vraiment" le Pape comme quel qu'un qui ne croit… pas plus que moi. C'est à dire comme quelqu'un qui sait, comme tout homme, non ce que le système dit croire, mais ce qu'il y a à savoir - c'est à dire rien de plus que cela.

Resterait à décrire le système de production des croyances à l'échelle des individus (et comment croire à ses croyances, c'est sans doute être illusionnée, mais illusionniste - dont abusé/désabusé) et l'éthique personnelle vis à vis de ses propres croyances, c'est à dire de celles auxquelles on veut croire…

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